vendredi 30 novembre 2007

Ces gens-là


Il y a des jours comme ça où, c'est vrai, le temps peut être moche. Si en plus votre amoureux est au loin, que tous vos amis sont morts ou partis en vacances, que vous avez lu tous les livres et trouvez (là la déprime prend le dessus) que la chair est triste, si la télé ne marche plus, le voisin (ou Voisin) est à l'hôpital, que le chat vous boude et que vous êtes vraiment isolé de tout… Ou alors, si vous êtes perdu, seul sur une île déserte de tout pirate des Caraïbes et que la mer ne trouve rien d'autre à vous recracher sur le rivage qu'un coffre plein de papier, de ciseaux et de photos, dans des cas comme celui-là, je suis d'accord : il faut réagir et ne surtout pas se laisser aller, il faut faire quelque chose. Je n'ai pas honte de le dire : si je me retrouvais un jour dans l'une ou l'autre de ces situations, moi aussi j'arriverais à faire une heure de bricolage!


Mais pas une soirée toute entière! Et surtout, je ne remettrais jamais ça!


Qu'est-ce peut bien pousser de grandes personnes de quarante, cinquante voire soixante ans à passer des soirées entières à taponner de petites étampes de caoutchouc, à poinçonner des trous en forme d'étoiles, à coller feutrines et gommettes, à sortir les crayons de cire crayons gels pour dessiner des petits flaflas sur des feuilles à motifs ?


J'admets que quand l'une ou l'autre de mes filles décide de sortir son attirail de bricolage et me demande de venir jouer avec elle, je m'y attèle moi aussi et qu'il me faut bien avoir l'air d'y prendre un peu plaisir, ce à quoi, en bonne mère consciencieuse, je m'applique de mon mieux mettant à profit le peu qu'on a su m'inculquer au cours d'art dramatique et qui me sert enfin en ces moment là (et un peu aussi lorsque je suis dans le monde et que je m'efforce d'y faire bonne figure).


Mais je suspecte fort ces gens-là de ne pas faire semblant du tout.


Vous trouvez peut-être que je médis, que je leur prête des intentions de façon tout à fait gratuite?


Détrompez-vous! J'ai pu observer plus d'une fois le comportement dégradant des scrapeurs (il y en a même dans ma famille – personne n'est à l'abri) et je vous le dis : c'est gens-là ne m'inspirent rien de bon.


Visite on ne peut plus traumatisante la semaine dernière au nouveau Omer de Serres de Gatineau. Quel affligeant spectacle, j'étais contente de ne pas avoir amené les enfants. Un vieux monsieur de 65 ans jubilait en essayant des ciseaux de plastique qui faisaient de la dentelle de papier pendant qu'une honorable mère de famille compulsait frénétiquement des cartes sur lesquelles étaient épinglés de moches autocollants de feutrine regroupés par thématiques (bébé, mariage, graduation…). Des tas de madames poussaient des chariots pleins choses innommables, des couples aussi qui avaient dû se dire qu'à deux, on forme un commando-choc mieux en mesure de prendre d'assaut le rayon des alphabets de bois ou des plumes teintes.

Beaucoup de mères avec leur filles, des femmes avec leur chum de fille, des profs de scrapbooking qu'on pouvait repérer d'un coup d'œil, quelques couples, quelques ados gothiques (???) quelques vieux monsieurs.


Tout ça occupait plus de la moitié de la surface du magasin où s'agitait 99,7% de la vie présente dans l'édifice, toutes formes confondues. Le reste du magasin était désert. On pouvait bien finir par y croiser un autre paumé au bout de quelques heures, mais tout était encore étincelant de propreté, rien n'avait encore été touché et on aurait pu croire que l'Homme n'avait pas encore mis le pied sur ce qui aurait pu passer pour une planète encore inconnue que Dieu aurait créée là, invisible à tous les autres, pour le seul plaisir de ses seuls élus, les fétichistes du matériel. J'vous dis pas, j'aurais pu me mettre dans le manteau au moins 10 pinceaux de kolinski à $300 chacun si j'avais voulu, personne ne s'en serait rendu compte tant les rayons qui m'intéressaient étaient vides de clients comme de vendeurs.


Mais revenons aux rayons de l'horreur. On entrait là dans un univers de cossins que l'industrie déployait pour le plus grand plaisir des scrapeurs : des boutons de toutes les couleurs, des pelotes de laine, des coquillages, des poupées de chiffon miniatures à coller, des minis cadres aux couleurs de l'arc-en-ciel, des imprimés en forme de fausses-découpures vintage : anges à trompettes, bébés joufflus, petits matelots et enfants au cerceau, belles dames bien en chair et tout sourire. Tout était désespérément cute. Des tas de reproductions miniatures de la Joconde, de la Création de l'homme, du Klimt, du Chagall, du Monet; pas de sexe, pas d'enfants faméliques, pas violence ni de sang.


Et pourtant, il y en avait, de la tension dans l'air. Comme le 23 décembre au centre commercial, et on pouvait sentir l'agressivité qui s'emparait des scrapeurs dans les rangées trop achalandées où ça se bousculait et s'arrachait des feuilles, des vignettes, des brillants et des collants. Le sang n'était pas loin de couler! Et c'était aussi bien clair que cette frénésie qui s'emparait de toutes ces grandes personnes qui n'en finissaient plus de saliver et de s'extasier devant des chaudières pleines de stylo-feutres, de petits pots de gels brillants, que ce qui se manifestait là, sous mes yeux ébahis, était sans nul doute l'expression d'une forme d'érotomanie ― perverse et peu commune, il est vrai, mais tout de même.


J'ai entendu un enfant qui pleurait – toute à son délire, sa mère avait dû l'oublier.


Y'avait trop de monde et j'ai eu la nausée, je suis sortie sans rien acheter (mais fait-il croire les fétichistes?) J'ai franchi les portes de la nouvelle succursale en me demandant si ce qui me restait d'humanisme en sortirait indemne. Et puis à peine dehors, je me suis dit que j'étais trop bête, que j'aurais dû en profiter pour me prendre au moins un pinceau de kolinski.


Faisant en moi-même quelques réflexions sur la bêtise de ces gens-là, heureuse que la folie m'ait épargnée, je pressai le pas : là bas, à l'atelier, une forme d'art plus haute et plus subversive m'attendait: la carte de Noël.

lundi 26 novembre 2007

La vie selon Fred


Lectures sur des blogs, ce matin, qui par des chemins un peu tordus rappellent à mon bon souvenir ce cher Fred, que j'ai lu avec délices dans une autre vie.


Le petit cirque, tout en noir et blanc et si délicieusement cynique on s'y vautre littéralement.


Et puis, si différent mais pas tant que ça, Philémon
qui voyageait sur les lettres de l'océan Atlantique. Il faut avoir lu ça pour savoir ce que c'est que de rêver et de délirer! Si frais, si drôle et poétique, et encore si plein de cynisme. Je dois relire ça durant le temps des fêtes les miens vont me perdre, je serai certainement aspirée sur l'une des lettres et ça sera difficile de retrouver mon chemin jusqu'à eux.


Il faut que je mette Fred en tête de la liste (que je constitue à l'instant) de ce que je veux faire découvrir à mes enfants avant de mourir. Ça fait vingt ans que Philémon est dans ma tête et qu'on est perdu, quelque part, sur l'une ou l'autre de ces satanées lettres. C'est un chouette compagnon de voyage.




jeudi 22 novembre 2007

J'ai eu du bol

« Si, par exemple, une pierre est tombée d'un toit sur la tête de quelqu'un et l'a tué, ils démontreront que la pierre est tombée pour tuer l'homme, de la façon suivante : Si, en effet, elle n'est pas tombée à cette fin par la volonté de Dieu, comment tant de circonstances (souvent, en effet, il faut un grand concours de circonstances simultanées) ont-elles pu concourir par hasard? Vous répondrez peut-être que c'est arrivé parce que le vent soufflait et que l'homme passait par là. Mais ils insisteront : Pourquoi le vent soufflait-il à ce moment-là? Pourquoi l'homme passait-il par là à ce même moment? Si vous répondez de nouveau que le vent s'est levé parce que la veille, par un temps encore calme, la mer avait commencé à s'agiter, et que l'homme avait été invité par un ami, ils insisteront de nouveau, car ils ne sont jamais à court de questions : Pourquoi donc la mer était-elle agitée? Pourquoi l'homme a-t-il été invité à ce moment là? Et ils ne cesseront ainsi de vous interroger sur les causes des causes (…) »

Le copain Baruch, Ethq, Appendice à la première partie.


J'ai failli me tuer sur un viaduc ce matin. Pas dessous.


À 9h30, je suis partie seule dans la tempête. Je roulais à 40-50km/h sur l'autoroute, dans la voie du milieu. J'ai quand même dérapé, et pas à peu près. Perte totale de contrôle, j'ai valsé dans toutes les voies, puis je me suis mise à tourner, tourner, tourner sans fin en dérapant, l'auto a fait un tour et demi sur elle-même avant de foncer tout droit en direction du garde-fou. Là je me suis dis : « je vais passer par-dessus bord », et puis l'auto a continué à tourner sur elle-même en évitant in-extremis le garde-fou, et s'est arrêtée.


Je suis indemne, je n'ai tué personne (toutes les autos s'étaient arrêtées), l'auto n'a pas une égratignure. C'est incroyable.


Bien sûr, les pneus d'hiver n'avaient pas encore été posés.


Mes élèves, ma collègue, mon chum, ma mère, tous ceux à qui j'ai raconté mon aventure semblent avoir eu plus peur que moi. Il faut dire que je n'ai pas eu le temps d'avoir peur. Moi que la moindre bibitte rend carrément hystérique, j'étais simplement très concentrée quand ça s'est passé, trop concentrée pour avoir peur.


C'était mon jour de chance aujourd'hui.

L'envol

Hier soir, Fille nº2 se lève dans son bain, ouvre grand les bras et les déploie de chaque côté de son petit corps. Elle me regarde et me sourit, belle comme un oiseau sur le point de s’envoler.

―Lave-moi les nacelles.

mercredi 21 novembre 2007

Mise en garde


Avertissement : le lecteur qui serait lui-même atteint d'une forme sévère de fétichisme de la couleur devrait se garder de cliquer sur le lien du site que nous commenterons dans cet article à moins que cela soit fait en présence de son thérapeute et que celui-ci l'en juge capable. Pour notre part, nous déclinons toute forme de responsabilité quant aux comportements que la lecture de ce site pourrait susciter chez les personnes déjà dérangées.



Certains auteurs ne mesurent pas l'effet que peuvent avoir leurs écrits sur des esprits atteints de troubles graves. Ils sont en fait à cent lieues d'en imaginer même le quart.


Ainsi, l'auteur du site www.handprint.com se présente comme un homme de bonne volonté qui, mu par le seul désir de mettre le consommateur en garde contre les manœuvres trompeuses des compagnies qui produisent nos grandes marques d'aquarelles, a consacré des milliers d'heures à la production de ce site. Sans craindre les représailles de quelques vieilles madames qui doivent être aujourd'hui en centre d'accueil, il y dénonce la clique odieuse des aquarellistes de la vieille garde qui refusent de troquer le pigment fugace pour celui qui brillera encore de mille feu dans dix mille ans d'ici, préconisent encore l'emploi de la laque de garance, du cramoisi d'Alizarine, de l'auréolin, du PR60, duPY35 et du PG8. et portent de ce fait la responsabilité de la mauvaise presse que peut avoir notre beau medium sur le marché de l'art, des conditions misérables dans lesquelles survivent, de peines et de misères, les collègues qui se sont convertis aux quinacridones, pérylènes et autres pigments qui passeront les siècles et ce monde lui-même sans ternir.


L'auteur de ce site a donc entrepris la tâche titanesque de tester à peu près tous les pigments offerts par une bonne douzaine de grandes marques en les exposant aux éléments selon une procédure bien contrôlée pour accélérer le processus de décoloration sous l'effet de la lumière et ce, sans jamais accepter de se laisser corrompre par des compagnies qui lui auraient offert gratuitement des tubes à tester, chose qui aurait pu le faire soupçonner de manquements au principe de l'objectivité scientifique.


Vu l'incroyable investissement financier que l'entreprise supposait, je suspecte notre bonhomme d'être fétichiste, ce que semble corroborer le plaisir évident qu'il prend à se soumettre à une procédure qu'on peut sans se tromper qualifier de maniaque, avec toute la frénésie d'un Don Quichotte convaincu de défendre l'artiste ignorant contre la vilaine clique des Winsor et Newton et Cie., et le cartel des aquarellistes de la vieille garde.


Quoiqu'il en soit, le fétichiste qui mettra les pieds dans ce haut-lieu des plaisirs pervers n'en sortira pas indemne. On peut même supposer qu'il n'en sortira pas avant plusieurs années, sinon pour faire de brèves incursions au bureau de poste, le temps d'aller y chercher les tubes de pigments qu'il aura été inspiré, cette semaine là, de commander en se disant qu'il fait cette sage dépense pour que le blason des honnêtes aquarellistes soit enfin redoré et que le marché de l'aquarelle s'en porte mieux .


Comme l'enfant qui met pour la première fois les pieds dans un magasin de jouets, le fétichiste sera tout de suite transporté au septième ciel. Des pages et des pages de colonnes de paramètres de mesure de la couleur tous plus captivants les uns que les autres s'offriront à ses yeux émerveillés, lui promettant des milliers d'heures d'exploration, d'excitation, de fascinant suspense (tant qu'il n'aura pas lui-même achetée et testée selon à peu près les mêmes fascinants paramètres la dite couleur), de jouissance qui se révèlera parfois être pure jouissance de la découverte et du savoir (il se sentira alors brusquement élevé au statut de pur sujet connaissant), mais à d'autres moments, jouissance plus trouble, difficile à cerner, moins avouable, il faut l'admettre.


Il découvrira là (http://www.handprint.com/HP/WCL/waterfs.html), entre autres choses, la mesure du « drying shift » de chaque pigment pour chacune des douze marques testées, la mesure de sa transparence, de ses effets de granulation, de diffusion, sa valeur chromatique, la mesure de la stabilité de la couleur et de sa résistance à la lumière, paramètre si cher à l'auteur qu'il ne semble pas avoir hésité une seconde à y consacrer toute son existence sans rien espérer en retour que le seul plaisir de contribuer à l'essor du cours de l'aquarelle sur le marché de l'art.


Conséquence : le lecteur fétichiste, qui aura déjà accumulé assez de matériel pour fournir en aquarelle tous les étudiants de la faculté des Beaux-arts pendant au moins dix ans sera consterné de constater à quel point ses achats impulsifs de consommateurs ignorant l'ont amené à se procurer des pigments sans valeur auquel il lui faudra renoncer pour reconstruire sa petite collection. Et lorsqu'au bout de deux ans, il sera enfin en possession d'un matériel digne d'un fétichiste de la couleur bien cultivé, éclairé et averti, il réalisera que bon nombre des choses qu'il a peintes étaient en fait destinées a être numérisées et que très souvent, cet épineux problème de la résistance du pigment à des siècles d'exposition au plein soleil de l'équateur n'est, somme toute, pas si lourd de conséquences qu'il pouvait paraître à prime abord, et qu'il a peut-être un peu trop vite renoncé à tous ces délicieux tons de garance, au cramoisi d'Alizarine, à l'auréolin, au PG8 etc. – et qu'il ferait bien de regarnir les étagères vidées trop hâtivement.


Ceci dit, je crois pouvoir sans trop me tromper prédire que le fétichiste de la couleur moyen pourra se vautrer cinq à six ans dans les statistiques rapportées dans ce site, ce qui veut dire qu'on lui offre la possibilité de goûter pendant des milliers d'heures aux joies de la découverte et aux plaisirs délicats de l'analyse comparative.


Pour ma part, je n'ai pas la naïveté de croire que les sujets affligés de ce type de perversion que je ne connais que trop résisteront plus de dix secondes à l'avertissement qui figure en en-tête de ce billet. Ça n'aura pas été faute d'avoir ménagé mes efforts ni regardé à la dépense pour les mettre en garde. Mais je sais bien, au fond, que je n'écris que pour quelques « happy few », proches soucieux de comprendre le mal de leurs amis ou parents désireux de prévenir l'apparition chez leurs enfants des premiers signes de la maladie, c'est-à-dire pour 3 à 4 personnes dans l'univers tout entier. J'espère qu'elles auront la présence d'esprit de googler l'expression : « formes sévères du fétichisme de la couleur » afin de trouver leur chemin jusqu'ici. Si elles y a parviennent, les efforts que j'aurai bénévolement et tout philanthropiquement déployés pour mettre le monde en garde n'auront pas été vains. Que la force soit donc avec elles. Si je peux espérer sauver une seule âme du fléau que représente ce site que je n'ai pas encore réussi à faire fermer, j'estimerai ma mission accomplie.


La liberté d'expression ne saurait en aucun cas justifier qu'on ferme les yeux sur l'exploitation des misères des malades mentaux à des fins purement mercantiles. Si vous désiriez soutenir cette cause que je fais mienne et aider à faire fermer le site www.handprint.com, venez signer ma pétition dans la section « commentaires » après avoir cliqué sur un des liens ci-dessous.


Merci de votre soutient.




mardi 20 novembre 2007

Le peintre du dimanche


Avertissement :


Je prie ici le lecteur qui serait tout de suite tenté de conclure que je suis en train de l'insulter d'être attentif au fait que ce n'est pas parce qu'il peint le dimanche que je le catalogue d'emblée dans la catégorie des peintres du dimanche. On peut fort bien peindre le dimanche, et même ne peindre que le dimanche, et ne pas être un peintre du dimanche. À l'inverse, on peut peindre tous les soirs de la semaine entre 22 h et minuit et demeurer irrévocablement peintre du dimanche.


Il y a trois grandes motivations qui déterminent la carrière de peintre du dimanche. Mais pour peu qu'on y regarde de près, on ne manquera pas de percevoir qu'elles peuvent toutes être aisément ramenées à une seule dépravation première et fondamentale, une perversion aussi répandue qu'originelle, à savoir : le fétichisme (eh oui, encore!)


Il y a tout d'abord le fétichisme du sujet qui demeure la forme de fétichisme dominante chez les peintres du dimanche. D'aucuns collectionnent les jolis paysages, ont un amour fétichiste des cabanes à sucre, des corbeilles de fruits ou des beaux visages. Et comme le fétichisme ne se contente pas d'aimer mais veut avoir auprès de soi, en tout temps, l'objet de son désir pervers, il exigera que le Rocher Percé décore son salon, voudra une cabane à sucre pour l'inspirer dans son bureau, des fleurs des champs au mois de janvier, un visage parfait aux murs de sa chambre à coucher… La peinture lui sera utile, elle lui permettra d'obtenir tout cela à moindre frais en éveillant de surcroît la jalousie des voisins qui rêvent depuis longtemps d'avoir eux aussi avoir leur propre Rocher Percé.


Cette forme de fétichisme a ses adeptes, mais je n'en suis pas. S'il y a des thèmes récurrents dans mon œuvre, ce n'est pas par fétichisme du sujet, mais faute d'avoir le temps de m'exercer à peindre des choses plus variées dans la mesure où la forme de fétichisme dont je suis atteinte (j'y viens) m'amène à consacrer pas mal de mon temps libre à écumer les boutiques spécialisées et à feuilleter les catalogues.


Parce que par-delà le fétichisme du sujet, il y a l'amour fétichiste du matériel d'art, bien plus primaire et coûteux. Il s'exprime, selon les individus, comme fétichisme du support (ici, l'aquarelliste aura plus à se mettre sous la dent que celui qui aura choisi la peinture à l'huile, le papier étant une matière autrement plus sensuelle que la toile), des instruments (vous verrez tout plein de fétichistes au rayon des pinceaux de kolinski), ou encore de la peinture. L'atteinte peut d'ailleurs être généralisée.


En tout cela, la maladie de l'aquarelliste sera plus lourde de conséquences que celle l'amateur de peinture à l'huile ou d'acrylique, le kolinski étant bien plus coûteux que les soies de porc ou les pinceaux de nylon et les couleurs, dont le cours avoisine parfois celui de l'or, pas mal plus onéreuses. Ainsi, les 15 ml de violet de cobalt, bien de première utilité s'il en est un, se vendent chez Holbein 35 dollars américains avant l'imposition des taxes; c'est dire si l'amateur a avantage à en faire provision en ces temps où la devise canadienne prend du poil de la bête!


Mais tout medium confondu, le fétichisme du matériel deviendra tôt ou tard source de gêne financière. Il n'est pas rare que le sujet se ruine sans qu'on ait pu prévenir le désastre, faute de l'avoir vu venir. Les premiers symptômes passent généralement inaperçus, alors que c'est précisément à ce stade de l'affection que le sujet devrait être traité. Les collègues attentifs remarqueront qu'il commence à fuir la cafétéria alléguant les prétextes les plus incroyables pour justifier le jeûne et les privations auxquels il se soumet sans raisons apparentes. On aurait tort de conclure trop rapidement à l'anorexie, surtout si on constate que le vendredi, l'ascète s'empare des économies qu'il a pu réaliser en se privant de cinq repas pour se ruer, magot en main, vers les lieux de ses honteuses débauches : les boutiques de matériel d'art où il n'est d'ailleurs pas rare de voir l'affligeant spectacle de fétichistes tout prêts à offrir leur veste pour une coupelle de porcelaine ou un repose-pinceau lorsqu'ils ne sont pas en train de prostituer leurs enfants à quelques rues de là.


L'étiologie nous révèle que ce type de peintre du dimanche ne commence à s'intéresser à la peinture que sur le tard, parce qu'il faut bien s'y mettre un jour pour tenter de justifier un tant soit peu l'achat de tout un matériel digne d'un professeur aux Beaux-arts.



Il faut enfin aborder le cas du fétichisme de la couleur, que le peintre du dimanche vivra dans la honte et l'opprobre, sachant que les couleurs n'ont individuellement aucun intérêt pour le vrai peintre, mais incapable de résister à l'attrait tout psychologique que les couleurs peuvent exercer sur lui puisqu'il est atteint, rappelons-le, d'un mal chronique qu'il n'arrivera pas à combattre seul. Il sait bien qu'au fond, il ferait mieux de s'adonner au scrapbooking ou à la décoration intérieure. Mais soit qu'il craigne de trop bouleverser son environnement immédiat, qu'il ait été traumatisé par la furie des scrapeurs prenant d'assaut un beau lundi après-midi la toute nouvelle succursale locale d'Omer de Serres (nous reviendrons sur ce triste événement dans un prochain billet) ou encore que son fétichisme du de la couleur se combine à un fétichisme du matériel, il se bornera ou s'entêtera, c'est selon, à décorer du papier hors de prix avec des pigments eux aussi hors de prix.


Tant que cette forme d'affection reste bénigne, elle est encore supportable : le peintre du dimanche pourra s'amuser à recréer toutes les couleurs de l'arc-en-ciel à partir de deux triades de primaires (une chaude et une froide), d'un peu de blanc et de quelques tons de terre. Cela n'a rien de bien méchant. Mais lorsque ce type de fétichisme apparaît chez un sujet où on a déjà pu observer des comportements qui manifestent un fétichisme du matériel, l'atteinte est plus grave et les choses ne tarderont pas à se compliquer.


Nous aborderons les formes plus sévères de fétichisme des couleurs dans un prochain billet.

samedi 17 novembre 2007

Encore deux oeuvres de Nebreda

Je préfère donner des liens seulement, à cause de la question des droits d'auteurs, mais je ne suis pas parvenue à retrouver surle Net la dernière des oeuvres présentée. Je vais contnier à chercher, et lorsque je trouverai, je remplacerai la photo que j'ai dans l'ordi par un lien.



http://holbein.free.fr/esp-holbein/nebreda1_500.htm


http://blog.uncovering.org/archives/uploads/2005/051122_nebreda5.jpg




vendredi 16 novembre 2007

De la respectabilité - rien de moins (1)

(Le « De », c'est parce que ça donne un petit air de respectabilité – je me sens carrément comme Cicéron, là)



Je sais bien que le siècle ne goûte guère la morale et qu'il est plutôt aux frivolités. À ma décharge, je dirais cependant que je n'ai pas vraiment eu le choix, vu le dévergondage éhonté de certains commentateurs qui semblent oublier que ce blog est un blog respectable (2).

Devant le relâchement et le manque évident de retenue de certains bloggeurs qui ne rougissent pas des propos qu'ils osent tenir avant 21 heure sur la place publique (3), je me dis qu'il faut réagir avant que ça ne dégénère. La pente glissante des coupables complaisances nous mènerait tôt ou tard à frayer avec l'Abjecte. C'est pourquoi un temps de réflexion est nécessaire : faudra-t-il en venir à imposer, sur ce blog et dans nos écoles, un code de conduite qui fera la promotion des vraies valeurs, de la vraie foi et du vrai bon goût?

Et puisque d'aucuns (mais qui donc dans la foule innombrable de nos lecteurs???) ont ici évoqué Schopenhauer, nous nous rangerons derrière cet ardent défenseur du bon goût, cet homme dont la misogynie et l'antisémitisme auraient à eux seuls déjà amplement pu suffire à justifier la canonisation, canonisation qui aurait d'ailleurs probablement été prononcée, n'eût-ce été de cette malencontreuse altercation qu'il eût un soir à l'opéra avec le pape Pie IX au sujet du dogme de l'Immaculée conception.

Schopenhauer, cet esprit édifiant, écrivit donc un soir où il était trop fatigué pour se relire :

"L'ignoble n'est point supportable dans l'art, bien que le laid lui-même, du moment qu'il ne tombe point dans l'ignoble, puisse y trouver sa place"
(MVR, 40)

Quoi de plus respectable que cette assertion qui témoigne, sans doute, de la noblesse de celui qui l'énonce (vingt ans plus tard, c'était déjà un discours de plouc). La position de Schopenhauer , homme parfaitement sain d'esprit, n'est sans doute pas très difficile à comprendre. Mais on ajoutera tout de même, pour les besoins de la cause, que selon lui, la contemplation esthétique, faisant de nous de simples spectateurs, nous arrache aux tourments de l'existence et nous réconcilie ainsi avec elle.

Si nous prenions ce docte philosophe comme guide, figure titulaire, arbitre du bon goût, il nous faudrait de ce pas bouter Nebreda ici présent (juste en bas, le visage bien caché sous ses propres immondices) de nos respectables Musées (où d'ailleurs, il ne doit pas mettre souvent ses pieds couverts d'excréments), Nebreda qui a sa façon bien à lui de répondre à Schopenhauer comme vous pourrez seul d'un coup d'œil le constater :





Afin de mieux juger de la pertinence d'instaurer ici un code de vie basé sur le Vrai, le Bien, le Beau et la Mesure(4), nous vous proposons donc ce petit sondage maison :

Vous-sentez vous plutôt du type :

  1. Schopenhauer
  2. Nebreda

Liens Nebreda :

Sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/David_Nebreda

http://a-a-a.blogg.org/date-2006-10-16-billet-456645.html

Quelques œuvres http://suttercane.over-blog.com/album-304124.html

Un article de F. Aubourg qu'on peut lire en famille parce qu'il n'y a pas de photos sur la page, si je me souviens bien: Freud et l'art contemporain : de Dali à Nebreda

Si vous êtes assez fan pour vous taper un article en espagnol : http://www.solromo.com/art_foto/nebreda


Vous avez deviné et nous l'avouons : « De la Respectabilité » est un hypocrite racolage destiné à faire décoller les cotes d'écoute en exploitant la souffrance d'un artiste – et, accessoirement, à faire découvrir Nebreda, mais à condition que ça rapporte des sous au bout du compte et que personne ne se présente sur ce blog à moins d'être convenablement habillé – les tatoués étant priés de sortir de notre espace web.

Vous aurez aussi deviné que si nous avons eu du temps à consacrer au maintien de l'ordre moral et à la ligue de tempérance, c'est que les enfants sont en visite chez Mère-grand jusqu'à demain. Nous tenons donc à remercier Mère-grand qui a mis ce temps d'écriture à notre disposition. Elle serait fière de savoir que nous en avons fait si bon usage (Ah! la! la! oui, alors!)

Après ça, je me tais pour au moins dix jours.


[1] Je sais qu’Amélie Nothomb a déjà tout dit sur la question dans Craintes et Tremblement (les pages sur la femme japonaise), mais comme certains semblent particulièrement lents à comprendre, j’ai cru de mon devoir d’aborder le sujet à mon tour.

[2] Oui, c’est vrai, j’avoue que j’en suis parfois, mais ce n’est pas moi qui commence – ça personne ne peut le nier!

[3] C’est vrai que je ne les vois pas, mais je le suppose au ton qu’ils adoptent, ton que je n’entends pas non plus, mais qui se reflète évidement dans le style désinvolte qu’ils ne craignent pas d’afficher!

[4] Le lecteur attentif aura repéré les 4 termes de la triade platonicienne

Résolument fétichiste

J'aime les boîtes à thé, l'odeur du thé au jasmin, de la bergamote, les parfums d'agrumes et bien sûr l'odeur de l'herbe coupée, des violettes et de l'encre. J'aime les encriers, les jolis porte-plumes, les lavis d'aquarelle, le papier vergé, le crissement de la plume sur le papier, les boîtes de bois sculptées, les vieux bouquins joliment reliés, le vieux cuir ouvragé. Même si je ne sais pas coudre, j'aime les jolis paniers à ouvrage en osier, même si je n'aime pas en porter, j'aime les dentelles anciennes et les rubans de soie. J'aime fouiner dans les brocantes pour y trouver de jolies tasses dépareillées, de belles soucoupes de porcelaine.

Je l'avoue, je suis fétichiste.

Pourquoi la porcelaine devrait-elle me « parler » plus que le plastique, la dentelle plus que le nylon, le porte-plume, plus que le stylo feutre, sinon parce que ce sont pour moi des objets anciens que la nostalgie rend intéressants? J'imagine que mes petits-enfants contempleront en souriant les bébelles de plastiques que je dédaigne aujourd'hui.

Mon fétichisme est une forme de régression.

Je m'entoure de fétiches comme d'autres ont des amis imaginaires. Je n'en ai pas honte. J'assume mon infantilisme.

Peut-on vraiment renoncer aux délices de la régression? Les délices de l'oreiller et du duvet, le sommeil encore plus, tout cela est recueillement, régression. Le bonheur n'est-il pas toujours forcément une forme de régression, et donc de narcissisme?

Je l'avoue, je suis narcissique. Je ne m'en cacherai pas, je n'essaierai pas de ne pas l'être. De toute façon, j'ai parfois l'impression d'en émerger lorsque le désir semble m'éjecter la tête hors de l'eau, m'expulser hors du ventre maternel.

Le bonheur est peut-être incompatible avec le désir qui nous défait de nos liens, nous libère, nous éclate extatiquement vers l'avenir, lieu de tous les possibles, de la tentation, de la transgression. Là, nous nous renouvelons. On n'y trouve ni bonheur, ni plaisir, mais l'exaltation, l'ivresse, la joie.

Je passe de l'un à l'autre, je parais quitter l'un pour l'autre et ce va et vient me semble salutaire. Fuite en avant, repli sur soi, le danger ne serait-il pas de succomber entièrement à l'une de ces deux tendances?

Si on ne se satisfait pas de ces allez-retours, on peut encore lorgner du côté de ces lieux de convergence où bonheur et désir semblent se croiser, comme en ce jeu des possibles auquel on prend un évident plaisir : l'imaginaire. Ça devient parfois un refuge stérile, mais on peut aussi tâcher d'en tirer quelque chose, d'en faire quelque chose, selon qu'on choisisse d'aller de l'avant ou à rebours. Il y a encore nos enfants. L'amour qu'on leur porte est trop évidemment narcissique – mais peut-être pas exclusivement narcissique. Les enfants des autres savent aussi nous émouvoir, et nous faire espérer. Ils représentent pour nous ce lieu de tous les possibles, ne cherchent pas encore le bonheur. Et puis il y a encore nos œuvres, grandes et petites. On peut y goûter tout à la fois les joies de la création et les plaisirs de Narcisse qui contemple sa progéniture.

Et voilà que je me plais ce matin à interpréter toutes les pratiques des hommes, les croyances et les systèmes de pensée à la lumière de cette double tension du bonheur et du désir qui n'est elle-même, bien évidemment, qu'un autre fétiche. C'est que l'ordre me rassure. Par la mise en ordre, les choses et les idées se transforment en monde, deviennent mon monde, ma demeure narcissique, mon carré de sable. En cela encore, je rejoins le primitif qui reprend périodiquement le récit de création afin que le monde soit recréé, qu'il ne verse pas dans le néant. Bien plutôt : j'arrache les idées et les choses au chaos, je construis, j'institue le sens, je suis Dieu. Chaque fois que je mets en ordre, que je m'adonne à mes tâches ménagères, que je repense la disposition de mes fétiches, je savoure ma divinité, délicieuse régression.

Je me plais à découvrir brusquement que ce billet n'est en fait que la répétition insupportablement complaisante de ce que j'ai déjà lu tant et tant de fois. J'aime surtout l'idée que demain, un vent d'ironie aura soufflé sur tout cela, que ce billet me paraîtra ridicule et que j'en rirai.

Et puis que tout reviendra inlassablement, comme cela a déjà été le cas une infinité de fois.

Autres perles


De l'infinie sagesse du ver de terre et autres petites misanthropies :

« Le langage est-il le propre de l'homme? Bien sûr, nous avons examiné en classe des tas d'arguments plus ou moins intéressants. Que ressort-il de tout cela? Que madame la prof est la vivante illustration de l'anthropocentrisme naïf. Mais que peut-elle bien savoir de tout cela, finalement? Elle qui se moque des facultés intellectuelles du ver de terre, a-t-elle déjà été dans la tête de ce ver de terre? Et comment peut-elle affirmer qu'ils ne sont pas dotés d'intelligence autant que nous, sinon plus? Elle peut bien nous dire, en parfaite fasciste qu'elle est, que si les bêtes pensaient, elles édifieraient des civilisations plutôt que de subir les pressions de l'environnement et d'être victimes de la sélection naturelle. Mais avons-nous vraiment raison d'être si fiers de cette civilisation? Si les bêtes ne construisent pas de civilisation, c'est peut-être qu'elles ont compris que tout cela est ridicule. Finalement, je me demande si l'humanité mérite vraiment de vivre? » ― Copie de l'élève 4


Mœurs :

« De nos jours, on est contraints d'avaler des tas de préservatifs, on ne peut même plus trouver un pot de yaourt qui n'en soit plein. » ― Copie de l'élève 5


Relativisme éclairé :

« Quels sont les fondements de l'inégalité parmi les hommes? »

Blablabla sur 6 pages de l'élève X qui disserte admirablement, construisant une formidable argumentation pour démontrer que selon lui, l'inégalité n'est pas naturelle. C'est tout plein de supers arguments hyper pertinents, les contre-arguments sont examinés et bien réfutés, bref un travail somme toute assez solide qui se termine par la conclusion suivante :

« Au terme de tout cela, on peut conclure que les inégalités ont été instituées, qu'elles ne sont pas, comme d'aucuns voudraient le croire, naturelles. MAIS il me faut cependant avouer qu'il y a tout plein de gens en ce bas monde qui ne pensent pas comme moi, que ces gens sont libres, et qu'il me faut respecter leur opinion. Il me faut donc admettre, au bout du compte, que la conclusion contraire est peut-être tout aussi vraie et que finalement, on n'en sait rien : le fondement des inégalités est peut-être naturel, et peut-être ne l'est-il pas. Ces deux idées sont toutes aussi valables l'une que l'autre. Il y aura toujours des gens pour penser que oui, et des gens pour penser que non. C'est un problème insoluble et de toute façon, la vérité n'existe pas. »

Copie de l'élève X, c'est à-dire de 60% des élèves qui font leur première dissertation de philo si on n'a pas pris le temps de leur expliquer d'abord avec des tonnes d'exemples à l'appui pourquoi une telle conclusion a un petit quelque chose qui cloche.

jeudi 15 novembre 2007

Les bien-pensants - 2


Monsieur Encre : « Tu sais, il est responsable d'une guerre qui a fait des milliers de morts… tout ça, pour une question de gros sous… »

Fille nº 1 : « Mais on ne le connaît pas vraiment… C'est peut-être quelqu'un de très gentil, après tout… »

***


La dernière annonce pour Honda de Martin Matte – indéniablement la meilleure annonce de char que je n'aie jamais entendue :

« Conduire une Honda, ça fait de moi un meilleur être humain… pis ça, moi j'trouve ça pratique. »

Impossible de m'empêcher de rire chaque fois que je l'entends.

Les bien-pensants - 1



« Il ordonna qu'on soumette tous les prisonniers à la torture et fut responsable de la mort de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. Je suis bien tenté de dire que c'est un bel exemple d'inhumanité, mais qui suis-je, moi, pour prétendre le juger? » ― Copie de l'élève 1.

« Trop de gens se suicident pour avoir souffert trop de violences, ou découragés d'en voir autant autour d'eux : viols d'enfants, guerres, massacres collectifs… Certains ont eu faim durant toute leur vie, ont été rejetés… Mais ils ont tort de se suicider! Ils devraient se rendre compte que la vie est belle et qu'elle vaut la peine d'être vécue. » ― Copie de l'élève 2

« La passion est-elle une force ou une faiblesse? C'est une faiblesse puisqu'elle nous aveugle et nous prive de notre liberté. Shakespeare et Picasso auraient été bien plus heureux s 'ils n'avaient pas eu une telle passion pour l'écriture et la peinture. En toute chose, il faut rechercher le juste milieu. » ― Copie de l'élève 3


lundi 12 novembre 2007

Calligraphies imparfaites

Un peu remuée ce soir par des propos sur le bonheur lus aujourd'hui sur le blog de Grande Dame. Les commentaires des lecteurs m'ont rappelé cette belle citation d'Angélus Silesius : « La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu'elle fleurit ».
J'ai pris la plume (en fait, l’automatic pen) et fait en 30 secondes une calligraphie express - pas de lignes, pas de balises, je ne me suis pas appliquée du tout. Techniquement, le résultat est lamentable. Les erreurs ne se comptent plus. Ça va me prendre du courage pour poster ça, mais bon, c'est comme ça que ça a "fleuri", imparfait ― c’est ainsi que je le voulais.

(cliquez pour visionner en grand format)



dimanche 11 novembre 2007

La culture de la main




Je disais hier à Femme libre combien ses billets sur le yoga me donnaient le goût de me mettre à l’école d’une discipline qui m’obligerait à la méditation et qui m’enseignerait la persévérance et la rigueur. Comme je ne suis pas souple pour deux sous, le yoga n’est vraiment pas pour moi. Je pensais alors plutôt au T’aï chi ou à quelque chose du genre.

Quelques minutes après envoyé mon message, j’ai réalisé que j’avais peut-être déjà un peu de tout cela avec la calligraphie.

Les calligraphes contemporains qui décrivent la pratique de la discipline comme ils décriraient une technique de méditation sont légion. Ils aiment filer la métaphore du vide et du plein. L’alternance des formes et contre-formes s’y fait méditation sur le yin et le yang, l’équilibrage des pleins et des déliés se transmue en une subtile métaphysique des contraires. Leurs textes pullulent d’allusions au Tao.

J’ai longtemps trouvé cela assez charrié et mis ça sous le compte de l’excentricité, voire d’une certaine complaisance. Mais depuis un an ou deux, je dois admettre qu’il me semble y avoir quelque chose de vrai dans tout cela; ou du moins, que cela rejoint ma propre pratique de la calligraphie. Peut-être simplement parce qu’inconsciemment, j’ai subi l’influence de ces écrits. Ma fascination pour les calligraphes chinois aurait fait le reste.

Ce que je travaille est moins la perfection de la forme que l’expressivité du trait. Travailler le trait, c’est d’abord éduquer et discipliner le geste pour ensuite pouvoir laisser parler (chanter?) la main. Cela suppose une attention complète au geste accompli, une souplesse, une intelligence, une culture de la main qui s’acquièrent à force de millions de a, de b et de c tracés sans relâche, jour après jour.

J’ai lu Passagère du silence, ce beau livre de Fabienne Verdier, à une époque de ma vie où j’étais toujours débordée et à bout de souffle. L’auteur y raconte comment, jeune étudiante, elle partit seule passer près de dix ans la Chine encore très fermée des années 1980 pour y être initiée à l’art de la calligraphie chinoise. J’ai été littéralement fascinée par le récit de ses débuts dans la discipline. Son vieux maître ne lui fit tracer, pendant des mois et des mois, que des traits horizontaux, traits qui devaient exprimer tantôt le mystère du règne végétal, tantôt la force de l’os.

Le T'aï chi me serait certainement très profitable. Après tout, je ne suis pas qu’une main ou qu’un bras qui trace des signes sur le papier. Mais j'ai l'impression que la calligraphie m'a déjà un petit peu appris de ce que le T’aï chi peut m’offrir.

samedi 10 novembre 2007

To Barbie or not to Barbie

Septembre 2001. Fille nº 1, qui veut jouer avec une cousine, réclame à cors et à cris sa première Barbie. Ses parents résistent un mois, le conflit éclate, puis de guerre lasses ils finissent par accepter lâchement (Fille nº 1 a toujours réclamer avec insistance) et se rassurent (se déculpabilisent) en se disant qu’il n’est pas toujours bon d’être trop intransigeant. De toutes façons, cette petite qui s’amuse tellement avec sa piste de course ne semble vraiment pas menacée par les stéréotypes véhiculés par ladite poupée.

Septembre 2002, Fille numéro un entre à la maternelle. En une semaine, elle en a appris de choses, la grande découverte étant qu’il existe des jouets de filles et des jouets de garçons, puis qu’il y a des couleurs de filles et des couleurs de garçons, des vêtements cool et des pas cool. Elle range donc la piste de cours qu’elle avait demandé au Père Noël un an auparavant, réclame des couleurs de filles et, une semaine à peine après la rentrée, exige « du linge cool ».

Septembre 2003, Fille nº 1 ne veut plus aller à l’école, mortifiée de devoir suivre son cours de morale dans une classe de douze d’élèves allant de la première (dont elle est la seule représentante) à la sixième année. Un jeune professeur leur demande d’écrire sur ce qu’ils aiment ou ce qu’ils n’aiment pas sans jamais réaliser qu’il a une élève dans la classe qui ne sait pas encore lire ni écrire. C’en sera fini à jamais du cours de morale. On aura beau lui assurer que lorsqu’on en aura touché un petit mot au professeur, tout rentrera dans l’ordre, Fille nº 1 ne veut rien savoir de ce cours plate où elle doit se rendre seule alors que tous les autres enfants de sa classe suivent ce cours palpitant entre tous : le cours d’enseignement religieux. Nouveau compromis des parents, nouvelle lâcheté. Fille nº 1 s’en trouvera fort aise; durant les années qui suivront, elle se révèlera être une fille dévote, créationniste par-dessus le marché.

Le jour où nous l’avons entendu dire à sa petite sœur : « Tu sais, Nonie, Jésus, c’est le monsieur qui a inventé la planète terre et le monde entier », on a mesuré l’étendue des dégâts.

À ce moment là, nous sommes nous sincèrement repentis? Avons-nous décidé de tenir bon et de ne pas sacrifier à la paix du foyer l’éducation de Fille nº 2? Pas du tout.

Contrairement à Fille nº 1 qui s’était fait garder par sa grand-mère, Fille nº 2 est une enfant de la garderie. Elle a donc toujours su que le rose et le mauve était des couleurs de filles, a toujours réclamé du rose et du mauve pour tout (vêtements, jouets, chambre à coucher, et même pour la cuisine - ce a quoi ses parents, intraitables pour une fois, n’ont jamais consenti); elle a toujours su qu’une fille, ça a des enfants (même a 18 mois, une fille est une mère et réclame « mes enfaaaaants!!!! » si on a le toupet de partir en oubliant les poupées). Les garçons, c’est bien connu, jouent à des jeux de garçons (yark! Yarkie!!!), comme Spiderman ou le fusil.

Mère lâche et permissive se bidonne discrètement en épiant sa Fille nº 2 en train de s’occuper de ses enfants. Mine de rien, elle entretient le vice en se prêtant au jeu. Elle trouve Fille nº 2 tellement drôle avec ses manies de « fille » et de princesse, qu’elle lui achète des tas de robes à fanfreluches roses et mauves qu’elle trouve elle-même absolument horribles, juste pour se payer le bonheur de voir le regard émerveillé de Fille nº 2 (qui est vraiment très expressive). Elle s'entend l'appeler « ma princesse » plutôt que « mon être humain » et ne peut s’empêcher de céder au plaisir coupable de lui raconter des tas de bêtises.

― Pourquoi c’est encore la nuit?

― Parce que le soleil se couche.

Horreur, je n’aurais jamais dit une telle chose à Fille nº 1. Mais ça ne s’arrête pas là :

― Pourquoi il est fatigué?

― Parce qu’il a brillé tout la journée.

― Pourquoi?

― Pour toi, parce qu’il t’aime.

Et la mère lâche d’enchaîner aussitôt avec une histoire de princesses et de fées. Fille n. 2 s’endort, heureuse.

De temps en temps, on lui raconte l’histoire du Petit chaperon rouge qui mangea le loup, question d’en faire tout de même une femme forte.

Voilà.

Morale de l’histoire? Il n’y en a pas. Je n’ai aucune conclusion à tirer de tout ça. Parfois, j’ai peur d’avoir renoncé à tous mes principes pour avoir la paix. Je me dis que je devrais m’en faire, mais je n’arrive pas à m’en faire vraiment. Il ne faudrait surtout pas voir là une sorte d’optimisme, de confiance… c’est simplement de l’inconscience, un trait de caractère que je partage avec mon conjoint.

Aurait-il fallu tenir bon, refuser la Barbie, les fanfreluches et l’enseignement religieux? Je n’en ai vraiment aucune idée, et je ne le saurai jamais. Côté éducation, jee crois qu'on est souvent condamnés à improviser. Si les enfants tournent bien, on ne saura pas si cela a quelque chose à voir avec les décisions qu’on aura prises (ou les compromis qu’on aura fait, pour ne pas appeler ça des démissions). S’ils tournent mal, on ne saura pas si on en aura été la cause.

L’important, c’est qu’ils tournent bien, que ce soit grâce à nous ou pas.

Depuis un an, je me rends compte que Fille nº 1, qui n'a pas toujours été un enfant facile, change beaucoup, qu’elle réfléchit de plus en plus, que ça carbure à plein régime dans sa petite tête et dans son cœur. Elle comprend et accepte de mieux en mieux les limites que nous nous imposons en tant que consommateurs et s’indigne sincèrement de tous ces pollueurs « qui ne pensent pas à ceux qui vont payer pour leurs comportements. » Elle commence à se poser des questions sur les croyances qui circulent autour elle, et cela nous rassure de plus en plus. Elle se discipline elle-même. Devient studieuse, s’ouvre l’esprit, s’engage à l’école pour toutes sortes de causes dont on sent qu’elle se préoccupe vraiment.

Je ne sais pas ce qui provoque ça, et je ne veux pas le savoir.

Je savoure et je croise les doigts.

mercredi 7 novembre 2007

Brody Neuenschwander sur You Tube

En français par dessus le marché!!!

(c'est un grand calligraphe)

Il fait une démontration de ce qu'on peut faire avec un cola pen (tire-ligne maison fabriqué à partir d'un morceau de cannette de coca-cola replié puis scotché sur une tige de bois)

http://www.youtube.com/watch?v=ZzRmr8hcSxo


http://www.youtube.com/watch?v=f_QfpJS8MFs

http://www.youtube.com/watch?v=sS0jD3Dc4T0


http://www.youtube.com/watch?v=m2HajImJaMI


http://www.youtube.com/watch?v=JBfV2BccC1Q


Je donne le lien vers son site.

Rosiers frileux

J’ai toujours aimé les rosiers Thé (qu’il ne faut pas confondre avec les hybrides de thé, ces grosses roses de fleuristes qu’un ami appelait méchamment « fleurs de plastiques ») et les Noisette (qui portent le nom de leur obtenteur, Philipe Noisette).

Les subtiles nuances des Thés, leurs fleurs aux pétales échevelés, savamment chiffonnés, les bouquets ravissants des Noisettes, tout cela me fascinait tellement!

Les Thés sont issus du croisement de deux des quatre premiers rosiers de Chine rapportés en Europe au XVIIIe s., ceux qui étaient de type "gigantea"(il s'agit de Hume's Blush et de l'autre, le jaune, dont je ne me souviens plus du nom) avec les rosiers Bourbons, eux-mêmes issus d'un croisement spontané (sur l'Île Bourbon) entre un rosier de Chine et le Damas d'automne (également appelé Damas 4 saisons) dont tous les rosiers remontants d'Europe descendaient jusqu'alors. Les rosiers de Chine ont légué aux rosiers Bourbon mais encore plus aux Thés une remontance (capacité à refleurir plusieurs fois) bien supérieure à celle du Damas d'automne. Mais le parfum des Thés, s'il est un peu plus prononcé que celui du rosier de Chine, n'en demeure pas moins assez discret (c'est un parfum fruité). Les Bourbon, par contre, ont un parfum tout a fait enivrant, qu'ils doivent à leurs ancêtres Damas. Je reparlerai des rosiers Bourbon que j'aime à la folie dans un autre billet.

Les Noisette, quant à eux, sont issus du continent américain. Ils ont été produits à partir d'un croisement de rosa x moschata avec le rosier de Chine, ont un port grimpant et donnent de ravissantes petites fleurs qui éclosent en bouquets. Croisés plus tard avec les Thés, ils ont donné naissance aux somptueux Thés-Noisette (la magnifique Céline Forestier, le Maréchal de Niel, Chromatella qu'on apelle aussi "Cloth of God" pour ne nommer que ceux-là)

Mais voilà, ce sont des rosiers très peu rustiques, qu’on cultive généralement en zone 8 et 9. Et encore, il s’agit de là des zones de rusticité américaines. Au Canada, les zones de rusticité fonctionnent différemment, et il faut chaque fois soustraire 1 par rapport aux zones américaines. Ainsi, un habitant de la rive sud qui vit en zone 5b selon Environnement Canada est en fait, si on se réfère au système USDA qui est celui utilisé partout ailleurs dans le monde, en zone USDA 4b.

Cultiver des rosiers de zone 8 en zone 4a (Outaouais), c’était du suicide. Mais ces rosiers étaient trop vraiment trop beaux!

Alors j’ai fait des mains et des pieds pour m’en procurer. On peut obtenir variétés de Noisettes chez Pickering Nurseries, en Ontario. J’en ai fait venir. Les Thés sont cependant beaucoup plus difficiles à trouver. Pickering offrait le magnifique Gloire de Dijon, le ravissant Duchesse de Brabant, mais c’était tout. Il y a bien une pépinière de Colombie-Britannique qui offre depuis deux ou trois ans quelques variétés supplémentaires mais à l’époque, ils ne cultivaient, eux aussi, que Gloire de Dijon et Duchesse de Brabant. J’ai donc dû faire des pieds et des mains pour me procurer quelques boutures sous le manteau (je sais que c'est très vilain, mais j'étais prête toutes les bassesses).

Durant les premières années, je leur ai offert une protection hivernale qui aurait pu les protéger des froids du Grand Nord. C’est tout juste si je n’allais pas me coucher sur les montagnes de compost dont je les avais recouverts, quetion de leur offrir un peu de chaleur supplémentaire. Jeleur ai lu des contes et chanté des chansons - enfin presque. J’ai ainsi réussi à cultiver des Thés et des Noisette. On a fait des boutures qu’on a offertes à d’autres fous des rosiers, on en a envoyé au Jardin botanique, et là on est quelques fanatiques à cultiver Thés et Noisette.

Et puis, avec le temps, l’enthousiasme (la folie) s’essouffle un peu, on s'enflamme pour une autre classe de rosiers, et la paresse fait le reste… Je ne leur ai pas toujours donné la protection hivernale adéquate, et j’en ai perdu. Je cultive toujours Gloire de Dijon, Duchesse de Brabant, Baronne Henriette de Snoy, Mlle Franziska Kruger, Rubens, le Général Schablikine, Mme Berkeley, Mme Joseph Shwartz, Alister Stella Gray, Aimée Vibert, Blush Noisette, Caroline Marniese,et Narrow water, mais Lady Hillingdon, Mme Lombard, Clementina Carbonieri, Mrs. Dudley Cross, Mme Antoine Mari et l’Archiduc Joseph me manquent vraiment beaucoup.



Rubens



Général Schablikine



Mlle Franziska Kruger


Mlle Kranziska Kruger



Mme Berkeley


MmeBerkeley


Mme Berkeley




Mme Berkeley

L'inconstance

Chaque fois que je l’appelle Astrid, elle me dit qu’elle n’aime pas ça. Pauvre petite! Condamnée par d’insouciants parents à croître dans des conditions propices à la schizophrénie, affublée de deux prénoms, elle résiste tant bien que mal au clivage psychique qui la menace de toutes parts. Parce qu’on ne lui a pas donné un prénom composé, mais bien de deux prénoms, deux prénoms dont ils auraient bien aimés que l’un ne soit pas relégué aux oubliettes de l’histoire familiale. Voilà, c’est chose déjà faite, je suis la seule à continuer à l’appeler Astrid de temps en temps.

Pas plus tard qu’avant-hier, elle se rebellait encore, « Yark, yark, yarkie! Que c’est laid « AsKKKrid », ze m’appelle pas comme ça. » Mais voilà que je viens d’apprendre qu’hier, mademoiselle ne voulait plus être appelée Léonie, son prénom était Astrid (Askkkrid)!

Allez y comprendre quelque chose!

lundi 5 novembre 2007

L'Enfer, c'est les autres

(billet acrimonieux - soyez avertis)

Qu’est-ce qui peut une mener une douce et paisible mère de famille (charrions un peu) tout ce qu’il y a de plus conventionnelle, banlieusarde de surcroît, à se départir brusquement de sa stoïque réserve pour monter chaque matin aux barricades indignée, furieuse, écumante? L’inquisiteur-en-elle a été réveillé, elle se sent sur le point de faire une grosse montée de moraline.

La faute aux Voisins-d’en-face qui dès septembre et jusqu’à la fin d’avril utilisent leurs ?#%$/*()) démarreurs à distance, mettant les moteurs en marche 20 à 30 minutes avant d’entrer dans leurs véhicules pour partir enfin, tout inconscients qu’ils sont du danger qui les guette. Car dans sa cuisine, Paisible-mère-de-famille fourbit les armes. Avec quelle providentielle synchronicité le saint patron des artistes leur inspire-t-il chaque matin la salutaire décision de partir trois minutes avant que le drame n’éclate! Un événement sanglant est ainsi chaque fois évité de justesse.

Dès qu’ils ont été enceints d’un deuxième enfant, Voisins-d’en-face ont acheté un deuxième utilitaire sport. Normal : à plus de deux dans ces petits autocars, on commence à se sentir à l’étroit. Mais toute la beauté de la chose réside en ceci : Voisins-d'en-face ont cette chance que peu de banlieusards connaissent, celle de travailler tous deux à moins d’un kilomètre de la maison, d'habiter à deux minutes d'une piste de vélo qui passe devant leurs lieux de travail respectifs et à 3 minutes, en se traînant les pieds, d'un arrêt d'autobus fort achalandé. Chaque midi, le drame se rejoue : ils reviennent manger à la maison puis repartent au boulot, chacun à bord de son mastodonte. Il est bien évident qu'ils font ce qu’ils peuvent pour ne pas trop perturber les mœurs locales et s’efforcent de bien s’intégrer à la société du gaspillage.

Car résister au courant culturel dominant, tenter de faire mentir le postulat selon lequel un banlieusard doit polluer autant qu’il le peut, autant que Dieu lui en donne la force et que l’Univers, dans son infinie sagesse, le lui inspire, pourrait être perçu comme un inqualifiable manque de respect envers toute la gente banlieusarde, envers ses idéaux, ses pratiques culturelles, son patrimoine à protéger, sa différence à préserver, envers ses symboles identitaires (VUS, piscine, tondeuse à gazon).

Voisins-d’en-face, qui se croient peut-être encore simples fonctionnaires, ont élevé la pollution au rang de l'Art. Ici, l’empreinte écologique se fait Œuvre.

L'Inquisiteur salue en eux l'allégorie vivante du principe d’inertie, mais se demande parfois s'il n’a pas tout faux lorsqu'il se les représente si conservateurs. Il semble que de nos jours, cette résistance dont ils témoignent si résolument à l’égard d’une vague velléité collective de commencer à faire quelque chose pour diminuer nos émissions de GES a peut être, au fond, quelque chose de délibérment subversif. Je mets donc cela sur ma petite liste de choses à méditer la prochaine fois que je sentirai la moraline me monter à la tête.

Le pire, c’est qu’on ne peut même pas les haïr : Voisins-d’en-face sont VRAIMENT gentils. Je suis certaine qu'ils n'oseraient jamais se servir de la blogosphère pour médire de leurs voisins d'en face.

Leur cas n’est pas isolé. On se l’est déjà dit, c’est de pratiques culturelles dont on parle.

L’Écrivain, qui sort chaque matin pour fumer sa cigarette à filtre bio (pas des blagues – sont fous ces fumeurs), m’assure que chez Deuxième-voisine-de-droite, l’auto (elle n’en a qu’une seule, c’est encore ça) roule à bas régime encore plus longtemps que chez les Voisins-d’en-face.

En été, ça ne va guère mieux à Banlieueland. Si le regard se porte vers la maison à droite de celle des Voisins-d’en-face. En homme à la retraite qui ne veut pas qu’on l’accuse d’être inactif, Monsieur Net s’affaire une fois par semaine à laver sa maison au boyau d’arrosage. Le reste du temps, il lave son entrée d’auto à l’eau potable, deux à trois fois par jour s'il le faut, entendez : s’il a plu durant la journée. Car la pluie, c’est bien connu, ça salit; comme les pissenlit d'ailleurs, qu'on peut nettoyer à grands jets d'herbicide.

Paisible-mère-de-famille et Fumeur-biodégradable tentent tant bien que mal de préserver la sérénité des diners et des petits-déjeuners en famille en évitant de regarder à travers l’immense fenêtre de la cuisine. Ou alors, de le faire avec le détachement d’un œil anthropologue ou sociologue.

Dur, dur! Ça trépigne et ça fulmine, l’Inquisiteur est prompt à s’enflammer même s’il aurait fort à faire en entreprenant son propre examen de conscience. Avec sa maison unifamiliale, son automobile (dont on tente vraiment de minimiser l’usage, mais tout de même) et sa piscine hors-terre, Paisible-mère-de-famille a un impact écologique pas mal plus élevé que la moyenne des habitants de cette planète. Et c’est sans parler de ses 180 rosiers anciens qui, même si on limite drastiquement les arrosages, bénéficient 4 ou 5 fois par année de la tournée générale du patron (ou de la patronne).

Vaine montée de moraline qui ne sert à rien, ne mène nulle part.

Il faudra bien qu’un jour, quelqu’un ait le courage politique de mettre en vigueur le principe du « pollueur payeur », afin que Paisible-mère-de-famille et ses voisins soient obligés de développer la vertu de l’ « auto »-discipline.


vendredi 2 novembre 2007

Insolente jeunesse


Du haut de ses dix ans et de toute son insolente jeunesse, fille nº1 vient de me traiter d’immature! Pourquoi donc, demanderez-vous, une vénérable mère qui traîne derrière elle ses 41 balais, tant de sagesse et un si pesant (!) bagage d’expériences a-t-elle pu s’attirer des propos aussi désobligeants?

Imaginez : toute à ma gourmandise, j’ai commis ce midi l’impardonnable bêtise, en fin de repas, d’approcher en riant la bouche vers la pointe de pizza, plutôt que de faire l’inverse! Et debout devant la table en plus, en racontant des bêtes histoires « drôles » à l’heure des sérieux comptes-rendus de l’avant-midi !!!

Si l’Écrivain (en congé de maladie) en a été estomaqué, j’avoue que ça ne m’a pas tellement étonnée. Depuis quelque mois, j’ai de plus en plus souvent droit à d’insistants regards mouillés, apitoyés ou attendris, à des sourires émus. Je n’ose rien dire, parce que de toute évidence, ça lui d’intenses satisfactions d’éprouver tant de pitié pour sa mère. Elle me regarde comme on regarde un nourrisson qui s’essaie à marcher et qui toute à sa fierté de réussir enfin, s’empêtre les pieds et trébuche. Chère maman toute naïve, toute belle de candeur (« T’es cute! »), toi qui es peut-être sur le point de découvrir enfin les mystères de la Vie… tu en es presque émouvante!!!

Non pas qu’elle ne sache pas compter, la Sara, qu’elle ne soit pas en mesure de se rendre compte que sa mère est née bien avant elle. Elle n’est pas si bête. Mais c’est justement mon âge qui pose problème et me vaut un tel capital d’empathie : mon immaturité appartient au genre de « l’immaturité sénile ». Sortie tout droit d’une préhistoire où on vivait paisiblement au rythme de la transhumance des troupeaux de brontosaures (qui sait, peut-être même née avant la découverte de l’Amérique!!!), j’inspire la pitié. J’ai été nourrie au lait de diplodocus qu’on allait traire nous-mêmes chaque matin juste avant de marcher (à pieds, madame!) les treize kilomètres qui séparaient la maison de l’école, les pieds-nus, sans chaussures, qu’il vente ou qu’il neige (que les sceptiques aillent se rhabiller : on a des photos qui le prouvent!); il va sans dire que tout cela donne droit à une certaine indulgence.

La jeune louve prend garde de ne pas être trop dure à mon endroit et de ne pas toujours me faire sentir à quel point ma naïveté et mon incurie sont pour elle un objet de gêne et d’embarras extrêmes, surtout devant ses amies. Pensez-vous ! Sa mère est encore incapable d’apprécier les chefs-d’œuvre de l’heure (High School Musical I, High School Muscial II, etc.). Elle a beau faire semblant de s’y intéresser un peu, question de passer quelque minutes de plus chaque jour avec sa fille, on voit bien qu’elle fait semblant, qu’elle ne trippe pas vraiment. L’a-t-on jamais vu se pâmer devant un T-shirt à l’effigie d e Zac Efron??? Installer un fond d’écran Jess McCartney sur le bureau de son ordi?? Faire une crise au magasin pour des gougounes Hillary Duff??? Réclamer à cors et à cris qu’on respecte son droit à la culture et à l’éducation en achetant un trois cent soixante-cinquième Archie? Rien à faire : on peut bien sortir une fille (ou une mère!) de la préhistoire, mais pas la préhistoire de la fille!

Je me console en me disant que je la verrai expier tout ça un jour lorsque, tout comme moi, elle verra sa fille poser sur elle ce regard appitoyé qu’elle aura déjà posé sur sa propre mère. On expie toujours ce genre de choses.



Plaisirs de l'encre

La Révélation, je l’ai vécue à huit ans, le jour où j’ai reçu mon premier stylo plume. C’était un Shaeffer pour étudiant rouge dans lequel j’insérais des cartouches d’encre « bleu royal » ou « bleu paon » en évitant le triste et terne « bleu noir ». Quelle découverte c’était de sentir la plume métallique gratter, ou plutôt caresser le papier, l’encre s’en écouler, belle et humide, d’avoir ce parfait contrôle de la main qui trace le trait, du geste qui étire la minuscule flaque d’encre. Ces petites et grandes joies, le stylo bille ne peut les procurer.

Jubilation, jubilation, c'était l'extase! Écrire dans l’humide est un délice (un vice!) que trop peu d’enfants ont la chance de découvrir. Devant mon enthousiasme, ma mère n’a pas résisté et m’a offert un beau Parker 51 de la petite collection de mon père. J’entrais dans les ligues majeures, j’étais aux anges. C’était un stylo parfaitement calibré. Je me le suis fait voler en moins d’un mois, mais depuis, la passion de l’encre ne m’a plus quittée.

Confession d'adepte : j’ai d’abord aimé fanatiquement, presque comme des fétiches, les stylos plumes : les Waterman, les Pelikan, les Parker (les marques que je peux me payer), et puis ces petits bijoux de prestige qu’on admire de loin en rêvant de les essayer, mais en sachant qu’on ne se permettra jamais si folle dépense, même si on en avait un jour les moyens – ça me semblerait carrément immoral.

Il m’a fallu attendre presque trente ans pour que la grâce me touche à nouveau. Il y a quatre ans, l’Esprit-Saint descendit encore sur moi seconde Révélation qui fut celle de la calligraphie. Je raconterai dans un autre billet les satisfactions que j’ai pu y trouver, mais qu’il suffise pour l’instant de dire que ce fut l’occasion de redécouvrir les plaisirs de l’encre avec plus d’intensité que jamais. Plaisirs indescriptibles de la plume métallique, pointue ou en biseau, qu’on insère au bout d’un simple porte-plume de bois et qui devient au stylo plume ce que celui-ci est au stylo bille! Plaisir de la plume d’oie que je ne parviens pas encore toujours à bien tailler, mais qui est à la plume métallique ce que celle-ci est au stylographe; plaisir du calame qu’on taille soi-même, qui se manie tout en légèreté et dont les possibilités sont quasiment infinies; plaisir du pinceau chinois dont la pointe nerveuse, toute gorgée d’une belle encore noire, rendra des traits d’une expressivité sans pareille j’aime tous les instruments d’écriture. Chacun me procure une jouissance propre, rend possibles de nouveaux mode d’expression.

Mais ces instruments ne seraient rien sans l’encre qui les fait vivre. Il faut au moins une fois avoir humé l’odeur de l’encre de Chine qu’on délaie en frottant le bâton sur la pierre d’encre, avoir plongé le regard dans ce noir profond et riche! Mais il faut aussi découvrir les plaisirs de l’encre ferro-gallique, l’encre des moines copistes, parfaitement adapté à cet la plume d’oie, de l’aquarelle et de la gouache.

Je trouve dommage qu’on ne laisse plus les enfants se salir les doigts à l’encre des jolis encriers, qu’ils ne connaissent plus la surprise de la tache d’encre inopinée qui tombe de la plume au moment où on ne s’y attendait pas. C’est un plaisir dont je ne prive pas mes filles.