samedi 10 novembre 2007

To Barbie or not to Barbie

Septembre 2001. Fille nº 1, qui veut jouer avec une cousine, réclame à cors et à cris sa première Barbie. Ses parents résistent un mois, le conflit éclate, puis de guerre lasses ils finissent par accepter lâchement (Fille nº 1 a toujours réclamer avec insistance) et se rassurent (se déculpabilisent) en se disant qu’il n’est pas toujours bon d’être trop intransigeant. De toutes façons, cette petite qui s’amuse tellement avec sa piste de course ne semble vraiment pas menacée par les stéréotypes véhiculés par ladite poupée.

Septembre 2002, Fille numéro un entre à la maternelle. En une semaine, elle en a appris de choses, la grande découverte étant qu’il existe des jouets de filles et des jouets de garçons, puis qu’il y a des couleurs de filles et des couleurs de garçons, des vêtements cool et des pas cool. Elle range donc la piste de cours qu’elle avait demandé au Père Noël un an auparavant, réclame des couleurs de filles et, une semaine à peine après la rentrée, exige « du linge cool ».

Septembre 2003, Fille nº 1 ne veut plus aller à l’école, mortifiée de devoir suivre son cours de morale dans une classe de douze d’élèves allant de la première (dont elle est la seule représentante) à la sixième année. Un jeune professeur leur demande d’écrire sur ce qu’ils aiment ou ce qu’ils n’aiment pas sans jamais réaliser qu’il a une élève dans la classe qui ne sait pas encore lire ni écrire. C’en sera fini à jamais du cours de morale. On aura beau lui assurer que lorsqu’on en aura touché un petit mot au professeur, tout rentrera dans l’ordre, Fille nº 1 ne veut rien savoir de ce cours plate où elle doit se rendre seule alors que tous les autres enfants de sa classe suivent ce cours palpitant entre tous : le cours d’enseignement religieux. Nouveau compromis des parents, nouvelle lâcheté. Fille nº 1 s’en trouvera fort aise; durant les années qui suivront, elle se révèlera être une fille dévote, créationniste par-dessus le marché.

Le jour où nous l’avons entendu dire à sa petite sœur : « Tu sais, Nonie, Jésus, c’est le monsieur qui a inventé la planète terre et le monde entier », on a mesuré l’étendue des dégâts.

À ce moment là, nous sommes nous sincèrement repentis? Avons-nous décidé de tenir bon et de ne pas sacrifier à la paix du foyer l’éducation de Fille nº 2? Pas du tout.

Contrairement à Fille nº 1 qui s’était fait garder par sa grand-mère, Fille nº 2 est une enfant de la garderie. Elle a donc toujours su que le rose et le mauve était des couleurs de filles, a toujours réclamé du rose et du mauve pour tout (vêtements, jouets, chambre à coucher, et même pour la cuisine - ce a quoi ses parents, intraitables pour une fois, n’ont jamais consenti); elle a toujours su qu’une fille, ça a des enfants (même a 18 mois, une fille est une mère et réclame « mes enfaaaaants!!!! » si on a le toupet de partir en oubliant les poupées). Les garçons, c’est bien connu, jouent à des jeux de garçons (yark! Yarkie!!!), comme Spiderman ou le fusil.

Mère lâche et permissive se bidonne discrètement en épiant sa Fille nº 2 en train de s’occuper de ses enfants. Mine de rien, elle entretient le vice en se prêtant au jeu. Elle trouve Fille nº 2 tellement drôle avec ses manies de « fille » et de princesse, qu’elle lui achète des tas de robes à fanfreluches roses et mauves qu’elle trouve elle-même absolument horribles, juste pour se payer le bonheur de voir le regard émerveillé de Fille nº 2 (qui est vraiment très expressive). Elle s'entend l'appeler « ma princesse » plutôt que « mon être humain » et ne peut s’empêcher de céder au plaisir coupable de lui raconter des tas de bêtises.

― Pourquoi c’est encore la nuit?

― Parce que le soleil se couche.

Horreur, je n’aurais jamais dit une telle chose à Fille nº 1. Mais ça ne s’arrête pas là :

― Pourquoi il est fatigué?

― Parce qu’il a brillé tout la journée.

― Pourquoi?

― Pour toi, parce qu’il t’aime.

Et la mère lâche d’enchaîner aussitôt avec une histoire de princesses et de fées. Fille n. 2 s’endort, heureuse.

De temps en temps, on lui raconte l’histoire du Petit chaperon rouge qui mangea le loup, question d’en faire tout de même une femme forte.

Voilà.

Morale de l’histoire? Il n’y en a pas. Je n’ai aucune conclusion à tirer de tout ça. Parfois, j’ai peur d’avoir renoncé à tous mes principes pour avoir la paix. Je me dis que je devrais m’en faire, mais je n’arrive pas à m’en faire vraiment. Il ne faudrait surtout pas voir là une sorte d’optimisme, de confiance… c’est simplement de l’inconscience, un trait de caractère que je partage avec mon conjoint.

Aurait-il fallu tenir bon, refuser la Barbie, les fanfreluches et l’enseignement religieux? Je n’en ai vraiment aucune idée, et je ne le saurai jamais. Côté éducation, jee crois qu'on est souvent condamnés à improviser. Si les enfants tournent bien, on ne saura pas si cela a quelque chose à voir avec les décisions qu’on aura prises (ou les compromis qu’on aura fait, pour ne pas appeler ça des démissions). S’ils tournent mal, on ne saura pas si on en aura été la cause.

L’important, c’est qu’ils tournent bien, que ce soit grâce à nous ou pas.

Depuis un an, je me rends compte que Fille nº 1, qui n'a pas toujours été un enfant facile, change beaucoup, qu’elle réfléchit de plus en plus, que ça carbure à plein régime dans sa petite tête et dans son cœur. Elle comprend et accepte de mieux en mieux les limites que nous nous imposons en tant que consommateurs et s’indigne sincèrement de tous ces pollueurs « qui ne pensent pas à ceux qui vont payer pour leurs comportements. » Elle commence à se poser des questions sur les croyances qui circulent autour elle, et cela nous rassure de plus en plus. Elle se discipline elle-même. Devient studieuse, s’ouvre l’esprit, s’engage à l’école pour toutes sortes de causes dont on sent qu’elle se préoccupe vraiment.

Je ne sais pas ce qui provoque ça, et je ne veux pas le savoir.

Je savoure et je croise les doigts.

7 commentaires:

Ce Bref Réveil a dit…

Mon fils n'a pas encore atteint l'âge où apparaissent ces soucis parentaux. Je redoute par contre le jour où il voudra se faire acheter des Teenage Mutan Ninja Turtles ou qu'il faudra mettre sous clé le Play Station de peur que le jeune garçon ne voie plus les rayons du soleil.

Encre a dit…

Jeux de gars et problèmes de gars ;-) Préparez-vous, ça vient toujours plus vite qu'on pense! (Fille n.1 a décidé à 4 ans qu'elle était "presque adolescente" et Fille n.2 se disait déjà ado à 24 mois)

Une femme libre a dit…

Dans la société cotemporaine, ce sont les petites filles qui sont avantagées, les petites filles d'Amérique du nord et d'Europe, je précise. Les autres vivent encore l'opprobe, le rejet et l'excision. Mais nos petites filles à nous ont tout. Les robes roses à froufrous de princesse, les châteaux, les brillants, les maquillages, les barbies mais aussi la meilleure éducation, les meilleures notes, une école taillée à leur mesure et tous les prix d'excellence qui vont avec.

Ce sont les petits garçosn contemporains que je plains. S'ils se chamaillent, on les taxe de violents, s'ils font bang! bang! avec un fusil imaginaire (pas un fusil-jouet évidemment, banni depuis longtemps du coffre à jouets, voyons donc!)on les envoie chez le psychologue. Si un petiot de huit ans s'avise d'embrasser sa petite voisine de classe, on l'accusera d'abus sexuel et il devra répondre de ses actes. Il a le droit de pleurer, il peut extériorises ses émotions, mais pas trop et surtout pas trop longtemps. Alors que la crise de larmes interminable est bien vue chez la petite fille.

Quand un couple veut adopter, il se tourne vers une petite fille dans 75% des cas. Le petit garçon, qui l'aurait cru? est devenu un deuxième choix!

Encre a dit…

C'est bien vrai ce que vous dites là, et bien triste. Je me souviendrai toujours de ces mots d'une enfant de 12 ans, entendus dans le film "Des marelles et des petites filles" (Marquise Lepage, ONF): "J'ai dit à mon père de couper la tête de ma grand-mère". La grand-mère l'avait fait exciser.

Quant aux petits garçons des sociétés occidentales, j'ai parfois l'impression qu'ils sont devenus les vaches à lait de l'industrie du jouet. C'est peut-être de plus de sport dont ils auraient besoin pour mieux se dépenser. Mais une console et des jeux video où le carnage devient boucherie, ça rapporte pas mal plus de sous qu'un simple fusil, un ballon, une Barbie, des crayons de couleurs ou de la pâte à modeler.

Madame Poppins a dit…

Tenir tout le temps bon, ça donne un parent figé, rigide. Et nous ne sommes pas des robots ! Ni des barbies !

L'est joli, ce billet, j'aime bien.

Tellinestory a dit…

Outre le fait que nous ayons pu avoir des préoccupations semblables sur les limites raisonnables du rose-pailleté-fluo-à-volants-organza, ce qui me frappe, dans ce billets, c'est qu'on puisse donner à choisir entre "morale" ou "religion".
Ce qui me rappelle vaguement le choix offert aux russes dans leur journal quotidien " Isveztia ou Pravda?" " les Nouvelles OU la Vérité?"

Encre a dit…

LOLOL! Ben oui, c'est comme ça a Québec.

Non, en fait les enfants du primaire doivent suivre un cours d'enseignement religieux (morale et croyances religieuses)ou l'enseignement moral laïque, selon le choiox de leurs parents. Mais tout cela est en train de changer, ce sera remplacé par un cours d'histoire des religions ou qqchs du genre. Je n'ai pas encore pris connaissance des contenus de cours, je suis un peu... méfiante pour l'instant ;)