mardi 20 novembre 2007

Le peintre du dimanche


Avertissement :


Je prie ici le lecteur qui serait tout de suite tenté de conclure que je suis en train de l'insulter d'être attentif au fait que ce n'est pas parce qu'il peint le dimanche que je le catalogue d'emblée dans la catégorie des peintres du dimanche. On peut fort bien peindre le dimanche, et même ne peindre que le dimanche, et ne pas être un peintre du dimanche. À l'inverse, on peut peindre tous les soirs de la semaine entre 22 h et minuit et demeurer irrévocablement peintre du dimanche.


Il y a trois grandes motivations qui déterminent la carrière de peintre du dimanche. Mais pour peu qu'on y regarde de près, on ne manquera pas de percevoir qu'elles peuvent toutes être aisément ramenées à une seule dépravation première et fondamentale, une perversion aussi répandue qu'originelle, à savoir : le fétichisme (eh oui, encore!)


Il y a tout d'abord le fétichisme du sujet qui demeure la forme de fétichisme dominante chez les peintres du dimanche. D'aucuns collectionnent les jolis paysages, ont un amour fétichiste des cabanes à sucre, des corbeilles de fruits ou des beaux visages. Et comme le fétichisme ne se contente pas d'aimer mais veut avoir auprès de soi, en tout temps, l'objet de son désir pervers, il exigera que le Rocher Percé décore son salon, voudra une cabane à sucre pour l'inspirer dans son bureau, des fleurs des champs au mois de janvier, un visage parfait aux murs de sa chambre à coucher… La peinture lui sera utile, elle lui permettra d'obtenir tout cela à moindre frais en éveillant de surcroît la jalousie des voisins qui rêvent depuis longtemps d'avoir eux aussi avoir leur propre Rocher Percé.


Cette forme de fétichisme a ses adeptes, mais je n'en suis pas. S'il y a des thèmes récurrents dans mon œuvre, ce n'est pas par fétichisme du sujet, mais faute d'avoir le temps de m'exercer à peindre des choses plus variées dans la mesure où la forme de fétichisme dont je suis atteinte (j'y viens) m'amène à consacrer pas mal de mon temps libre à écumer les boutiques spécialisées et à feuilleter les catalogues.


Parce que par-delà le fétichisme du sujet, il y a l'amour fétichiste du matériel d'art, bien plus primaire et coûteux. Il s'exprime, selon les individus, comme fétichisme du support (ici, l'aquarelliste aura plus à se mettre sous la dent que celui qui aura choisi la peinture à l'huile, le papier étant une matière autrement plus sensuelle que la toile), des instruments (vous verrez tout plein de fétichistes au rayon des pinceaux de kolinski), ou encore de la peinture. L'atteinte peut d'ailleurs être généralisée.


En tout cela, la maladie de l'aquarelliste sera plus lourde de conséquences que celle l'amateur de peinture à l'huile ou d'acrylique, le kolinski étant bien plus coûteux que les soies de porc ou les pinceaux de nylon et les couleurs, dont le cours avoisine parfois celui de l'or, pas mal plus onéreuses. Ainsi, les 15 ml de violet de cobalt, bien de première utilité s'il en est un, se vendent chez Holbein 35 dollars américains avant l'imposition des taxes; c'est dire si l'amateur a avantage à en faire provision en ces temps où la devise canadienne prend du poil de la bête!


Mais tout medium confondu, le fétichisme du matériel deviendra tôt ou tard source de gêne financière. Il n'est pas rare que le sujet se ruine sans qu'on ait pu prévenir le désastre, faute de l'avoir vu venir. Les premiers symptômes passent généralement inaperçus, alors que c'est précisément à ce stade de l'affection que le sujet devrait être traité. Les collègues attentifs remarqueront qu'il commence à fuir la cafétéria alléguant les prétextes les plus incroyables pour justifier le jeûne et les privations auxquels il se soumet sans raisons apparentes. On aurait tort de conclure trop rapidement à l'anorexie, surtout si on constate que le vendredi, l'ascète s'empare des économies qu'il a pu réaliser en se privant de cinq repas pour se ruer, magot en main, vers les lieux de ses honteuses débauches : les boutiques de matériel d'art où il n'est d'ailleurs pas rare de voir l'affligeant spectacle de fétichistes tout prêts à offrir leur veste pour une coupelle de porcelaine ou un repose-pinceau lorsqu'ils ne sont pas en train de prostituer leurs enfants à quelques rues de là.


L'étiologie nous révèle que ce type de peintre du dimanche ne commence à s'intéresser à la peinture que sur le tard, parce qu'il faut bien s'y mettre un jour pour tenter de justifier un tant soit peu l'achat de tout un matériel digne d'un professeur aux Beaux-arts.



Il faut enfin aborder le cas du fétichisme de la couleur, que le peintre du dimanche vivra dans la honte et l'opprobre, sachant que les couleurs n'ont individuellement aucun intérêt pour le vrai peintre, mais incapable de résister à l'attrait tout psychologique que les couleurs peuvent exercer sur lui puisqu'il est atteint, rappelons-le, d'un mal chronique qu'il n'arrivera pas à combattre seul. Il sait bien qu'au fond, il ferait mieux de s'adonner au scrapbooking ou à la décoration intérieure. Mais soit qu'il craigne de trop bouleverser son environnement immédiat, qu'il ait été traumatisé par la furie des scrapeurs prenant d'assaut un beau lundi après-midi la toute nouvelle succursale locale d'Omer de Serres (nous reviendrons sur ce triste événement dans un prochain billet) ou encore que son fétichisme du de la couleur se combine à un fétichisme du matériel, il se bornera ou s'entêtera, c'est selon, à décorer du papier hors de prix avec des pigments eux aussi hors de prix.


Tant que cette forme d'affection reste bénigne, elle est encore supportable : le peintre du dimanche pourra s'amuser à recréer toutes les couleurs de l'arc-en-ciel à partir de deux triades de primaires (une chaude et une froide), d'un peu de blanc et de quelques tons de terre. Cela n'a rien de bien méchant. Mais lorsque ce type de fétichisme apparaît chez un sujet où on a déjà pu observer des comportements qui manifestent un fétichisme du matériel, l'atteinte est plus grave et les choses ne tarderont pas à se compliquer.


Nous aborderons les formes plus sévères de fétichisme des couleurs dans un prochain billet.

7 commentaires:

Tellinestory a dit…

Voila un texte d'une totale justesse et une lectrice qui démarre sa journée avec un grand sourire!
Je reviendrais savourer le reste...

Tellinestory a dit…

reviendrai, arghhh

Caro et cie a dit…

J'adore la tournure de ton esprit...;-) C'est bien dit, mais tellement vrai! Bien hâte que tu racontes la cohue de scrappeurs...;-)

Ce Bref Réveil a dit…

C'est très vrai ce que vous dites là, mais je ne saisi pas très bien en quoi cela ne s'applique qu'aux peintres du dimanche. Je ne crois pas que les peintres professionnels soient dépourvus de ces mêmes formes de fétichisme.

Encre a dit…

J’espère bien que ça ne sonne pas trop faux Anita. Il y a teeeellement de vécu derrière tout ça!!! ;)

Salut Caro! Les scrapeurs, ce sera pour demain ou après-demain, promis. Je dois encore prendre un petit peu de recul face à ce que j’ai vécu lundi. C’est encore trop frais, je suis incapable pour l’instant de me replonger là-dedans. Mais je sais qu’on ne peut pas se contenter de seulement parler des belles choses, qu’il faut avoir le courage d’aborder certains surjets ― ça s’en vient. En attendant, il y aura quelque chose d’un peu plus aride pour ce soir, toujours sur le thème du fétichisme. Aride, mais utile, je crois. Surtout quand on a des enfants et qu’on prend notre rôle de parent au sérieux. Enfin, je me place peut-être la barre un peu haut, là…

Ce bref réveil, le contraire du peintre du dimanche, ce n’et pas le professionnel mais le peintre de talent. Des tas de professionnels demeurent des peintres du dimanche (cf. mon avertissement au lecteur). Je parlais métaphoriquement, ce qui me permettait bien sûr de dire n’importe quoi. Mais vous avez raison, tout cela s’applique également aux peintres de talent. Ce sont pour la plupart des fétichistes du sujet, quelques uns sont fétichistes de la couleur et il y a parmi eux des fétichistes du matériel, ça se voit du premier coup d’œil dans leurs ateliers. Mais ils parviennent à me le faire oublier, justement! ;)

Anonyme a dit…

je découvre votre Blog par hasard et je suis étonné de vos écrits sur les peintres du dimanche.Je reconnais que vous avez du talent, mais c'est quoi le talent ? A mes yeux c'est seulement un style qui plait à une personne ou à un groupe.D'autre estimeront que vous n'avez pas de talent parceque votre style ne les séduira pas.Etre un peintre du dimanche semble être négatif pour vous! ...Etre un peintre du dimanche pour moi c'est être une personne qui aime peindre qu'elle ai du talent ou pas,le dimanche car c'est dans une vie quelquefois le seul jour ou l'on a du temps pour soit.Je revendique être un peintre du dimanche.J'ai du plaisir à peindre ,ce que je fais ne plait pas toujours, ne me plait pas toujours mais j'y trouve du plaisir , ça me détent.Ceci dit j'espère ne pas bvous avoir blessée,si c'était le cas je vous prie de bien vouloir m'en excuser.Cordialement.

Encre a dit…

Bonjour legio, je trouve votre commentaire en rentrant de vacances. Je suis tout à fait d'accord avec vous, il faut peindre par plaisir. Ce billet a été écrit sous le mode de l'autodérision. Je m'y moquais de mon intérêt compulsif et fétichiste pour le matériel d'art, intérêt qui me sert trop souvent d'excuse pour ne pas peindre, parce que j'ai encore du mal à assumer cette activité. Vous avez totalement raison de me rappeler qu'il ne faut pas s'en faire avec le jugement d'autrui et peindre par plaisir. L'auto-dérision, c'est toujours une façon totalement vaine de tenter de prévenir le jugement d'autrui et l'anticipant et en l'intériorisant. Et c'est chez moi une bien mauvaise habitude.