lundi 5 novembre 2007

L'Enfer, c'est les autres

(billet acrimonieux - soyez avertis)

Qu’est-ce qui peut une mener une douce et paisible mère de famille (charrions un peu) tout ce qu’il y a de plus conventionnelle, banlieusarde de surcroît, à se départir brusquement de sa stoïque réserve pour monter chaque matin aux barricades indignée, furieuse, écumante? L’inquisiteur-en-elle a été réveillé, elle se sent sur le point de faire une grosse montée de moraline.

La faute aux Voisins-d’en-face qui dès septembre et jusqu’à la fin d’avril utilisent leurs ?#%$/*()) démarreurs à distance, mettant les moteurs en marche 20 à 30 minutes avant d’entrer dans leurs véhicules pour partir enfin, tout inconscients qu’ils sont du danger qui les guette. Car dans sa cuisine, Paisible-mère-de-famille fourbit les armes. Avec quelle providentielle synchronicité le saint patron des artistes leur inspire-t-il chaque matin la salutaire décision de partir trois minutes avant que le drame n’éclate! Un événement sanglant est ainsi chaque fois évité de justesse.

Dès qu’ils ont été enceints d’un deuxième enfant, Voisins-d’en-face ont acheté un deuxième utilitaire sport. Normal : à plus de deux dans ces petits autocars, on commence à se sentir à l’étroit. Mais toute la beauté de la chose réside en ceci : Voisins-d'en-face ont cette chance que peu de banlieusards connaissent, celle de travailler tous deux à moins d’un kilomètre de la maison, d'habiter à deux minutes d'une piste de vélo qui passe devant leurs lieux de travail respectifs et à 3 minutes, en se traînant les pieds, d'un arrêt d'autobus fort achalandé. Chaque midi, le drame se rejoue : ils reviennent manger à la maison puis repartent au boulot, chacun à bord de son mastodonte. Il est bien évident qu'ils font ce qu’ils peuvent pour ne pas trop perturber les mœurs locales et s’efforcent de bien s’intégrer à la société du gaspillage.

Car résister au courant culturel dominant, tenter de faire mentir le postulat selon lequel un banlieusard doit polluer autant qu’il le peut, autant que Dieu lui en donne la force et que l’Univers, dans son infinie sagesse, le lui inspire, pourrait être perçu comme un inqualifiable manque de respect envers toute la gente banlieusarde, envers ses idéaux, ses pratiques culturelles, son patrimoine à protéger, sa différence à préserver, envers ses symboles identitaires (VUS, piscine, tondeuse à gazon).

Voisins-d’en-face, qui se croient peut-être encore simples fonctionnaires, ont élevé la pollution au rang de l'Art. Ici, l’empreinte écologique se fait Œuvre.

L'Inquisiteur salue en eux l'allégorie vivante du principe d’inertie, mais se demande parfois s'il n’a pas tout faux lorsqu'il se les représente si conservateurs. Il semble que de nos jours, cette résistance dont ils témoignent si résolument à l’égard d’une vague velléité collective de commencer à faire quelque chose pour diminuer nos émissions de GES a peut être, au fond, quelque chose de délibérment subversif. Je mets donc cela sur ma petite liste de choses à méditer la prochaine fois que je sentirai la moraline me monter à la tête.

Le pire, c’est qu’on ne peut même pas les haïr : Voisins-d’en-face sont VRAIMENT gentils. Je suis certaine qu'ils n'oseraient jamais se servir de la blogosphère pour médire de leurs voisins d'en face.

Leur cas n’est pas isolé. On se l’est déjà dit, c’est de pratiques culturelles dont on parle.

L’Écrivain, qui sort chaque matin pour fumer sa cigarette à filtre bio (pas des blagues – sont fous ces fumeurs), m’assure que chez Deuxième-voisine-de-droite, l’auto (elle n’en a qu’une seule, c’est encore ça) roule à bas régime encore plus longtemps que chez les Voisins-d’en-face.

En été, ça ne va guère mieux à Banlieueland. Si le regard se porte vers la maison à droite de celle des Voisins-d’en-face. En homme à la retraite qui ne veut pas qu’on l’accuse d’être inactif, Monsieur Net s’affaire une fois par semaine à laver sa maison au boyau d’arrosage. Le reste du temps, il lave son entrée d’auto à l’eau potable, deux à trois fois par jour s'il le faut, entendez : s’il a plu durant la journée. Car la pluie, c’est bien connu, ça salit; comme les pissenlit d'ailleurs, qu'on peut nettoyer à grands jets d'herbicide.

Paisible-mère-de-famille et Fumeur-biodégradable tentent tant bien que mal de préserver la sérénité des diners et des petits-déjeuners en famille en évitant de regarder à travers l’immense fenêtre de la cuisine. Ou alors, de le faire avec le détachement d’un œil anthropologue ou sociologue.

Dur, dur! Ça trépigne et ça fulmine, l’Inquisiteur est prompt à s’enflammer même s’il aurait fort à faire en entreprenant son propre examen de conscience. Avec sa maison unifamiliale, son automobile (dont on tente vraiment de minimiser l’usage, mais tout de même) et sa piscine hors-terre, Paisible-mère-de-famille a un impact écologique pas mal plus élevé que la moyenne des habitants de cette planète. Et c’est sans parler de ses 180 rosiers anciens qui, même si on limite drastiquement les arrosages, bénéficient 4 ou 5 fois par année de la tournée générale du patron (ou de la patronne).

Vaine montée de moraline qui ne sert à rien, ne mène nulle part.

Il faudra bien qu’un jour, quelqu’un ait le courage politique de mettre en vigueur le principe du « pollueur payeur », afin que Paisible-mère-de-famille et ses voisins soient obligés de développer la vertu de l’ « auto »-discipline.


5 commentaires:

Une femme libre a dit…

Revenez donc en ville. Pas de place pour de gros véhicules, des boyaux d'arrosage, on n'en a pas, tout le monde sort son bac de récupération et puis, ses voisins, on ne les connaît pas et on ne les voit pas non plus et si on les voit, on ne sait pas que ce sont eux vu qu'on ne les connaît pas! Ha! la paix de la ville!

Encre a dit…

C’est une idée, Femme Libérée, seulement, dans ma région (l’Outaouais), il n’y a quasiment que de la banlieue. On ne trouve presque rien d’autre que des immeubles gouvernementaux, des commerces et des restaurants dans les centres-villes d’Ottawa et de Gatineau, et dès qu’on sort des centres-villes, c’est déjà la banlieue. Voyez : j’habite à 5 minutes en auto de ces deux centres-villes. Et puis, je pense que je préfère rester en colère (pas tant que ça tout de même, il faut bien frimer un peu) tant qu’on n’aura pas de lois avec plus de mordant. Je doute que rien ne change tant qu’on ne nous obligera as à changer.
Et puis je veux bien mettre mes enfants sur le balcon, mais mes rosiers, qui les adoptera???
Bonne journée à vous et merci d’avoir lu ce déplaisant billet.
;-)

Une femme libre a dit…

Ouais.... les rosiers..... évidemment. Dur de les caser sur un balcon! ;o)

Encre a dit…

Je n'y renonce pas tout à fait, tout même, à la paix des centres-villes! On se dit, mon chum et moi, que lorsque les enfants auront quitté le nid familial et qu'on sera tous deux à la retraite, on quittera peut-être enfin la banlieue trépidante pour retrouver le calme et la sérénité des la grande ville ;-)

Anonyme a dit…

Good words.