La Révélation, je l’ai vécue à huit ans, le jour où j’ai reçu mon premier stylo plume. C’était un Shaeffer pour étudiant rouge dans lequel j’insérais des cartouches d’encre « bleu royal » ou « bleu paon » en évitant le triste et terne « bleu noir ». Quelle découverte c’était de sentir la plume métallique gratter, ou plutôt caresser le papier, l’encre s’en écouler, belle et humide, d’avoir ce parfait contrôle de la main qui trace le trait, du geste qui étire la minuscule flaque d’encre. Ces petites et grandes joies, le stylo bille ne peut les procurer.
Jubilation, jubilation, c'était l'extase! Écrire dans l’humide est un délice (un vice!) que trop peu d’enfants ont la chance de découvrir. Devant mon enthousiasme, ma mère n’a pas résisté et m’a offert un beau Parker 51 de la petite collection de mon père. J’entrais dans les ligues majeures, j’étais aux anges. C’était un stylo parfaitement calibré. Je me le suis fait voler en moins d’un mois, mais depuis, la passion de l’encre ne m’a plus quittée.
Confession d'adepte : j’ai d’abord aimé fanatiquement, presque comme des fétiches, les stylos plumes : les Waterman, les Pelikan, les Parker (les marques que je peux me payer), et puis ces petits bijoux de prestige qu’on admire de loin en rêvant de les essayer, mais en sachant qu’on ne se permettra jamais si folle dépense, même si on en avait un jour les moyens – ça me semblerait carrément immoral.
Il m’a fallu attendre presque trente ans pour que la grâce me touche à nouveau. Il y a quatre ans, l’Esprit-Saint descendit encore sur moi ‒seconde Révélation qui fut celle de la calligraphie. Je raconterai dans un autre billet les satisfactions que j’ai pu y trouver, mais qu’il suffise pour l’instant de dire que ce fut l’occasion de redécouvrir les plaisirs de l’encre avec plus d’intensité que jamais. Plaisirs indescriptibles de la plume métallique, pointue ou en biseau, qu’on insère au bout d’un simple porte-plume de bois et qui devient au stylo plume ce que celui-ci est au stylo bille! Plaisir de la plume d’oie que je ne parviens pas encore toujours à bien tailler, mais qui est à la plume métallique ce que celle-ci est au stylographe; plaisir du calame qu’on taille soi-même, qui se manie tout en légèreté et dont les possibilités sont quasiment infinies; plaisir du pinceau chinois dont la pointe nerveuse, toute gorgée d’une belle encore noire, rendra des traits d’une expressivité sans pareille ‒ j’aime tous les instruments d’écriture. Chacun me procure une jouissance propre, rend possibles de nouveaux mode d’expression.
Mais ces instruments ne seraient rien sans l’encre qui les fait vivre. Il faut au moins une fois avoir humé l’odeur de l’encre de Chine qu’on délaie en frottant le bâton sur la pierre d’encre, avoir plongé le regard dans ce noir profond et riche! Mais il faut aussi découvrir les plaisirs de l’encre ferro-gallique, l’encre des moines copistes, parfaitement adapté à cet la plume d’oie, de l’aquarelle et de la gouache.
Je trouve dommage qu’on ne laisse plus les enfants se salir les doigts à l’encre des jolis encriers, qu’ils ne connaissent plus la surprise de la tache d’encre inopinée qui tombe de la plume au moment où on ne s’y attendait pas. C’est un plaisir dont je ne prive pas mes filles.
9 commentaires:
Je vous en veux un peu par jalousie. Étant gaucher je n'ai jamais eu de succès avec l'encre. Ce handicap m'a inspiré un billet sur le crayon seul instrument qui me permet d'écrire sur du papier sans faire de pâté, bien qu'il me noircisse quand même la tranche de la main qui balaie la page.
Cher bref réveil, j'ai lu avec beaucoup plaisir et d'amusement votre article sur le crayon. Je suis tout à fait d'accord avec vous : les utilisateurs de porte-mines ignorent tout des jouissances que procure le crayon de bois!Pas seulement à cause de la gaine de bois plus chaleureuse que le plastique froid des porte-mines, mais aussi à cause de sa mine généreusement plus grosse que celle du porte-mine. C'est bien vivre sans jouissance que de d'écrire toujours avec un stylo bille ou un porte-mine en se privant de la sensulité de la mine graphite bien friable, celle qui s'use vite, qui portent la cote B.
Si vous en avez le temps et le goût, allez voir ce que peut faire avec un crayon un calligraphe comme Laurent Tripoteaud.
http://www.plumes-et-chiffon.net/techn-crayon.html
J'ai oubli de préciser que Laurent T. est gaucher :-)
Ah! génial ce Laurent. Il vient de changer ma vie de gaucher. Merci de signaler ce lien.
... bon il ne me reste plus qu'à pratiquer maintenant!
LOL!Bon alors, je vous souhaites des heures de plaisir!
Je viens de me souvenir que Laurent Pflughaupt (tiens, un autre Laurent), passablement plus connu,est également un calligraphe gaucher. Il n'utilise pas le crayon, mais fait des choses époustouflantes. Son site ne semble pas accessible en ce moment, mais une recherche image sur Google suffit à donner une idée de ce que les gauchers peuvent réaliser!
Ps. Il n'était pas gaucher, Léonard de Vinci ???
Oui Leonardo était gaucher. Son truc était d'écrire de droite à gauche. J'ai essayé mais ça marche plus ou moins car j'écris avec le poignet très cassé.
De toute façon aujourd'hui il faudrait carrément que je réapprenne à écrire car j'utilise toujours cette prothèse qu'est le clavier.
Pour peindre ça va car la main ne touche pas au support.
Je pense aussi que cette étrange écriture de Léonard n'est pas une lubie du génie, comme on le suggère souvent. Ce n'est peut-être qu'un ingénieux simpe procédé de gaucher qui s'est trouvé un moyen commode d'écrire sans se tacher et sans gâcher le support. Je n'en suis pas sûre, mais je crois qu'il écrivait encore sur du vélin et du parchemin - on avait intérêt à ne pas gaspiller sa feuille!
Si je me souviens bien, Laurent Pflughaupt disait écrire de haut en bas. Il tourne la feuille de 45 degré vers la droite et écrit de haut en bas. Ça demande bien sûr toute une rééducation de l'oeil et du bras. On ne peut pas dire que vous l'avez facile, vous les gauchers!
Je vois tes commentaires dans certains blogs que je lis et j'ai eu envie de savoir qui se cachait derrière Encre.
Très beau billet. A sa lecture, j'entends la plume gratter.
C'est de la musique aux oreilles, non? :-)
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