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mardi 15 juillet 2008

« Merci » ou « De la persévérance » ou « Sortir du placard et respirer au gand jour »

(le 16 au matin, une suite vient d'être ajoutée pour clarifier mon propos)


On n'a pas peur de faire du jogging au vu et su de tous et chacun même si on ne fracasse pas de records, même si on n'est pas coureur professionnel, même si on est simple débutant qui chausse ses souliers de course pour la première fois. Et pour peu qu'on persévère dans cette pratique, on nous accordera volontiers le titre de sportif. Parce qu'on conviendra facilement que c'est la pratique du sport et la passion pour le sport qui fait le vrai sportif, et je trouve qu'on a bien raison de concevoir les choses de cette façon.

Pour ce qui est de la pratique d'une activité artistique, c'est autre chose. Si bien que trop souvent, celui qui aime peindre, dessiner, écrire, composer restera toujours mortifié à l'idée de livrer au regard des autres des choses « qui, de toute évidence, ne sont pas à la hauteur », et ça lui prendra souvent une bonne dose de détermination pour ne pas reculer, pour persévérer au grand jour dans la pratique de ce qu'il fait, parce que dans ce domaine, on admettra rarement que la passion et la pratique fassent d'un individu un artiste comme cela pourrait en faire un sportif.

J'ai toujours été étonnée de constater l'âpreté et le dédain avec lesquels certains artistes professionnels défendent ce qui apparaît comme un titre réservé à quelques élus et que de ridicules usurpateurs s'arrogeraient en leur faisant toujours un tort considérable. Il est un calligraphe réputé qui ne cesse de tenir ce genre de discours. La hauteur et le mépris avec lesquels il traite tous les scribouilleurs qui n'ont pas trente ans de pratique et quinze ans de formation dans les grandes écoles virent à l'acharnement. Dans la même veine, on pouvait lire, l'an passé, dans une revue sur l'aquarelle, les propos méprisants du président d'une association pour la promotion de l'aquarelle (sic!) se lamenter haut et fort du tort que causaient aux vrais artistes la déplorable démocratisation du médium et l'émergence de ces légions de peintres du dimanche qui jettent le discrédit sur ce bel art. On se gausse de « celui qui croit tout savoir alors qu'il n'a rien appris », de sa naïveté, de ses ridicules prétentions.

Peintre, sculpteur, calligraphe, il semble que cela soit des appellation réservées aux artistes avant d'être des activités auxquelles chacun peut s'adonner. Que les bonnes gens s'amusent à rimailler, à peindre, à faire du théâtre d'été, soit! Mais de grâce, qu'ils le fassent en cachette, à l'abri des regards, dans leurs salons ou leurs greniers, et surtout qu'ils n'en parlent pas puis que cela ne mérite ni un regard, ni une oreille attentive. Passe-temps, divertissement, désennuiment, hygiène de vie à la rigueur.

D'un côté, l'Art qui se décline toujours avec un grand A et qui s'accroche à sa majuscule, de l'autre, l'hygiène, le divertissement. Si l'école ne considère les cours de musique, de théâtre et d'arts plastiques que comme des cours bouche-trous qui servent tout juste à remplir les plages horaires vides et à permettre à l'élève de se reposer un peu la tête entre deux cours « sérieux », ce n'est que la manifestation de cette idée selon laquelle ces pratiques ne sont pour nous que d'hygiéniques passe-temps.

(Juliette, je t'envie, tu n'as pas à te cacher et à surmonter le rouge qui te monte au visage lorsque tu enfiles tes souliers de courses. Et comme tu es plutôt sympathique, des fois je laisserais là mes ces plumes et pinceaux que j'ai l'outrecuidance ou peut-être le ridicule de posséder et j'irais faire quelques kilomètres avec toi ;-)

***

« Alors, Léger-Léger, on me dit que vous taquinez la muse à temps perdu? » disait à peu près en ces termes(1) je ne sais plus quel ministre ou haut diplomate à Saint-John Perse.

On imagine aisément le ton narquois, le sourire en coin – l'amusement.

***

(Moi à moi-même :) ―« T'as pas honte de mettre de telles choses en lignes, c'est ridicule, pathétique! »

(moi-même à Moi :) ― « J'ai fait ce que j'aime faire et je l'ai fait du mieux que je le pouvais alors ; je ne me mesure à personne. »

(Moi à moi-même) ― « Tout de même! Du devrais effacer ça et ça et ça du blog, au moins! »

(moi-même à Moi) ― « Comme Femme libre assaillie par le doute, je persévère! Je continue ce satané cours de yoga à mettre en ligne ce que je fais et je n'écouterai pas la voix de monsieur M. les discours fascistes, les chiens de gardes qui font mine d'être subversifs et qui protègent des titres. »


***

Hier, Moi parlait vraiment très fort, et j'avais du mal à lui tenir tête.

Mais lorsque cela se produit et que je lis les commentaires que vous me laissez en passant, cela m'aide à persévérer et à ne pas me déclarer vaincue par ces scrupules qui m'assaillent périodiquement. Il y a des gens pour regarder ce que j'ai envie de faire et de donner à voir, je respire au grand jour. Pas besoin d'un vaste public, simplement de sortir du placard. C'est génial.

Cela m'aide à retourner à mes petites affaires. À faire mes petites affaires.

Et puis, je pense aux Grecs (c'est mon côté pompeux, on ne se refait pas) pour lesquels ces disciplines que nous qualifions d'artistiques n'étaient pas des chasses-gardées de grands génies ou de corporations mais essentiellement une poïesis, un « faire », une praxis, une activité de transformation. Je n'ai ni la prétention de faire de l'Art, ni celle de créer (ce serait bien naïf), mais je peins comme je le veux et je refuse de céder à la tentation de m'en cacher, je revendique le droit de le faire au grand jour et de me dire calligraphe ou peintre comme d'autres se disent sportifs, sans prétentions mais sans avoir à me justifier non plus. Ma passion et ma pratique sont à mes yeux des justifications suffisantes.

Discours naïf et prétentieux? J'assume.



PS. Comment ne pas admirer Solange qui réalise chaque fois un beau doublé en ayant le front de nous offrir ses pastels et ses poèmes! Faut le faire!

PPS. Le libellé de ce billet? Perversions innommables, pardi! ;-)

  1. Trop paresseuse pour retrouver la citation exacte, je la redonne à peu près.

Ajouts du lendemain matin.

Hier, j'étais assez contente de ce billet, mais ce matin, je me demande s'il est et sera bien interprété. L'Encrier, qui me connaît, c'est bien amusé à le lire et a beaucoup ri, mais les gens semblent inquiets et cherchent à me rassurer dans les commentaires...

Je ne pars en guerre contre personne, je remets en question une attitude qui me semble dommageable et je combats des démons intérieurs. Je le fais en m'amusant, ce billet, je l'ai écrit en riant. Que cela soit clair : je ne joue pas au grand artiste incompris, je ne suis pas en mal de reconnaissance et je ne réagis pas émotivement à quelque chose qu'on viendrait de me dire. Et mes propos ne visent personne en particulier non plus (si, tout de même, j'ai cité deux personnages ;-) Je me questionne sur notre rapport à l'art, un rapport de sacralisation que je remets en question en interrogeant les motivations et les effets de cette sacralisation.

Ceci dit, je ne méprise pas ni ne tienne pour rien l'investissement considérable d'artistes qui se donnent à fond à une formation rigoureuse! Je n'ai pas l'intention de devenir le nouveau monsieur Jourdain et je ne pense pas qu'en art, tout se vaut. Je conçois très bien que le parallèle que j'ai fait en début de billet entre la pratique du sport et l'activité artistique soit discutable. Il relève en partie de la rhétorique. Il est heureux que le travail des meilleurs soit pleinement reconnu et je ne serai pas de ceux qui refusent de dire qu'en ce domaine, tout n'est que pure appréciation subjective. Mais la reconnaissance des meilleurs ne doit pas devenir terrorisme ou censure. Et je me demande si parfois, il n'y a pas un peu de cela.

Just my two cents ;-)

dimanche 13 janvier 2008

Méditations encriennes

(le titre est un peu prétentieux mais je n'ai pas trouvé mieux)























Je ne peux me résoudre à faire la vaisselle ;)

samedi 12 janvier 2008

X-acto mon amour



Cloudy demandait l'autre jour comment un ratage de dernière minute était possible.


Voici un exemple.


J'ai repris l'autre soir la calligraphie « Je crois au soleil même quand il ne brille pas ». Après 1 heure 30 de travail (principalement à cause de l'aplat violet qui a exigé 5 couches de gouache qu'il faut à chaque fois laisser sécher à fond pour donner quelque chose d'uniforme), après avoir réussi un texte difficile parce que calligraphié sans portées pour me guider, ratage sur les 2mm de la fin! Pas sur la dernière lettre, mais sur la dernière section de la dernière lettre, sur le petit délié du bas du « s », qu'il faut exécuter avec le coin de la plume en tirant l'encre déjà déposée dans le plein de la partie médiane. Là, l'irréversible se produit : le papier était plus imbibé que je ne l'avais cru et en tirant ce qui ne devait être qu'un petit filet d'encre, c'est toute une grosse goutte que j'entraîne.




Lorsque le travail est calligraphié à la gouache, je peux compter sur mon ami l'x-acto pour me tirer d'affaire : j'attends que la peinture sèche et je gratte. Là j'avais utilisé le brou de noix. Ça imbibe d'avantage le papier et je ne savais pas si je parviendrais à sauver la calli.


Eh bien croyez-moi, l'x-acto est un ami fidèle qui ne nous laisse jamais tomber dans les moments difficiles. Il a bien su faire disparaître l'horrible goutte.





X-acto, mon ami, je t'aime!



Quand tu me sauves comme ça des heures de travail, je crois que je t'aime tant que je te ferais l'amour.





Enfin, presque.







jeudi 3 janvier 2008

L’extrait du jeudi soir


Un autre billet à quatre mains : la Note de jeudi soir de Cloudy m'a rappelé un de mes extraits fétiches, un passage du « Chant de minuit » dans Ainsi parlait Zarathoustra extrait de Nietzsche.



Toute joie veut l'éternité de toutes choses, veut du miel, du levain, veut un minuit ivre, veut des tombes, veut la consolation des larmes sur les tombes, veut le flamboiement d'un couchant d'or,

que ne veut-elle pas, la joie! elle est plus altérée, plus cordiale, plus affamée, plus terrible, plus intime que toute douleur, elle se veut elle-même, elle se mord elle-même, la volonté de l'anneau lutte en elle, ―

― elle veut l'amour, elle veut la haine, elle est trop riche, donne, gaspille, mendie pour que quelqu'un la prenne, remercie celui qui la prend, elle aimerait bien être haïe, ―

― elle est si riche, la joie, qu'elle a soif de douleur, d'enfer, de haine, de honte, d'infirmité, soif du monde, ― car ce monde, oh vous le connaissez!

Hommes supérieurs, c'est vous qu'elle désire, la joie, l'indomptable, la bienheureuse, ― elle désire votre douleur, hommes manqués! Toute joie éternelle languit après les choses manquées.

Car toute joie se veut elle-même, c'est pourquoi elle veut aussi la peine! Ô bonheur, ô douleur! Oh brise-toi, cœur! ô hommes supérieurs, apprenez-le, toute joie veut l'éternité,

― la joie veut l'éternité de toutes choses, veut la profonde, la terrible éternité!


F. Nietzsche, Chinois de la Chine imaginaire.


(Ainsi parlait Zarathoustra, dans l'inégalable traduction de Marthe Robert, Union générale d'éditions, pp. 305-306)


C'est un magnifique billet pour commencer l'année, non ? même si ce n'est pas moi qui l'ai écrit ;)


mercredi 5 décembre 2007

Les sceaux








Les calligraphes chinois intègrent l'empreinte des sceaux dans leurs œuvres. Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve beau qu'ils intègrent ainsi l'œuvre d'une autre artiste (le graveur de seaux) dans la leur, comme pour laisser place à une autre parole, celle qui est gravée là, et a une autre voix, celle qui s'exprime à travers le style propre du graveur. Enfin, je dis peut-être encore n'importe quoi, si la gravure des sceaux est bien un art millénaire en Chine, j'avoue ne pas savoir à quel point cet art est marqué par la convention, et si la notion de style individuel a ici un sens.


Mais comme les sceaux font partie intégrante de ma Chine imaginaire, je peux en dire n'importe quoi, pourvu que le lecteur soit averti ;)


Souhaits pour une journée de soleil



J'ai quelques sceaux, probablement des sceaux de pacotille, achetés sur Internet. Certains sont bien jolis, taillés dans de la belle pierre ambrée, orangée ou couleur d'albâtre. D'autres sont tout simples : un caillou coupé, poli et gravé. Ils ont été choisis pour leur message, c'est-à-dire en évitant les messages du genre « se lever tôt est bon pour les affaires », ainsi que selon l'appréciation toute subjective et pas du tout éclairée de leur « dessin » ― je n'ose pas parler de graphie, puisque cette graphie là, pour moi, c'est du chinois.


J'en ai cherché dans le quartier chinois d'Ottawa, sans succès. J'imagine que si j'en trouvais, ils seraient hors de prix, comme une grande partie de la camelote vendue dans les petits bazars où j'aime aller me perdre quand j'ai le temps de perdre mon temps.


Dans un constant état d'éveil


Ma sœur a bien tenté de me trouver des sceaux lorsqu'elle est allée au Tibet l'an dernier. Mais le pays (sic!) est si pauvre qu'on ne trouve rien à acheter dans les inexistantes boutiques du Tibet. En dix jours, elle n'a pas vu l'ombre d'un sceau ni d'un pinceau, qu'un tout petit peu de camelote de plastique sous-bas-de-gamme à côté de laquelle les gugusseries du Dollorama font figure d'objets de luxe. Alors c'est moi qui lui ai mis un sceau, acheté sur Internet, dans son bas de Noël, puisque c'est cette sœur là qui fait du scrapbooking . Je me disais qu'elle allait bien vouloir se faire quelques pages sur la Chine.


Faut croire qu'on a tout de même des gènes en commun, elle et moi, même si on ne se ressemble pas tellement : le gène des tamponneuses et, aussi, celui des philistines prêtes à mettre l'art des sceaux au service du scrapbooking.


Finalement ― et on y revient toujours ― Omer de Serres rules!


Sérénité intérieure et profit

extérieur sont deux voix différentes


vendredi 30 novembre 2007

Ces gens-là


Il y a des jours comme ça où, c'est vrai, le temps peut être moche. Si en plus votre amoureux est au loin, que tous vos amis sont morts ou partis en vacances, que vous avez lu tous les livres et trouvez (là la déprime prend le dessus) que la chair est triste, si la télé ne marche plus, le voisin (ou Voisin) est à l'hôpital, que le chat vous boude et que vous êtes vraiment isolé de tout… Ou alors, si vous êtes perdu, seul sur une île déserte de tout pirate des Caraïbes et que la mer ne trouve rien d'autre à vous recracher sur le rivage qu'un coffre plein de papier, de ciseaux et de photos, dans des cas comme celui-là, je suis d'accord : il faut réagir et ne surtout pas se laisser aller, il faut faire quelque chose. Je n'ai pas honte de le dire : si je me retrouvais un jour dans l'une ou l'autre de ces situations, moi aussi j'arriverais à faire une heure de bricolage!


Mais pas une soirée toute entière! Et surtout, je ne remettrais jamais ça!


Qu'est-ce peut bien pousser de grandes personnes de quarante, cinquante voire soixante ans à passer des soirées entières à taponner de petites étampes de caoutchouc, à poinçonner des trous en forme d'étoiles, à coller feutrines et gommettes, à sortir les crayons de cire crayons gels pour dessiner des petits flaflas sur des feuilles à motifs ?


J'admets que quand l'une ou l'autre de mes filles décide de sortir son attirail de bricolage et me demande de venir jouer avec elle, je m'y attèle moi aussi et qu'il me faut bien avoir l'air d'y prendre un peu plaisir, ce à quoi, en bonne mère consciencieuse, je m'applique de mon mieux mettant à profit le peu qu'on a su m'inculquer au cours d'art dramatique et qui me sert enfin en ces moment là (et un peu aussi lorsque je suis dans le monde et que je m'efforce d'y faire bonne figure).


Mais je suspecte fort ces gens-là de ne pas faire semblant du tout.


Vous trouvez peut-être que je médis, que je leur prête des intentions de façon tout à fait gratuite?


Détrompez-vous! J'ai pu observer plus d'une fois le comportement dégradant des scrapeurs (il y en a même dans ma famille – personne n'est à l'abri) et je vous le dis : c'est gens-là ne m'inspirent rien de bon.


Visite on ne peut plus traumatisante la semaine dernière au nouveau Omer de Serres de Gatineau. Quel affligeant spectacle, j'étais contente de ne pas avoir amené les enfants. Un vieux monsieur de 65 ans jubilait en essayant des ciseaux de plastique qui faisaient de la dentelle de papier pendant qu'une honorable mère de famille compulsait frénétiquement des cartes sur lesquelles étaient épinglés de moches autocollants de feutrine regroupés par thématiques (bébé, mariage, graduation…). Des tas de madames poussaient des chariots pleins choses innommables, des couples aussi qui avaient dû se dire qu'à deux, on forme un commando-choc mieux en mesure de prendre d'assaut le rayon des alphabets de bois ou des plumes teintes.

Beaucoup de mères avec leur filles, des femmes avec leur chum de fille, des profs de scrapbooking qu'on pouvait repérer d'un coup d'œil, quelques couples, quelques ados gothiques (???) quelques vieux monsieurs.


Tout ça occupait plus de la moitié de la surface du magasin où s'agitait 99,7% de la vie présente dans l'édifice, toutes formes confondues. Le reste du magasin était désert. On pouvait bien finir par y croiser un autre paumé au bout de quelques heures, mais tout était encore étincelant de propreté, rien n'avait encore été touché et on aurait pu croire que l'Homme n'avait pas encore mis le pied sur ce qui aurait pu passer pour une planète encore inconnue que Dieu aurait créée là, invisible à tous les autres, pour le seul plaisir de ses seuls élus, les fétichistes du matériel. J'vous dis pas, j'aurais pu me mettre dans le manteau au moins 10 pinceaux de kolinski à $300 chacun si j'avais voulu, personne ne s'en serait rendu compte tant les rayons qui m'intéressaient étaient vides de clients comme de vendeurs.


Mais revenons aux rayons de l'horreur. On entrait là dans un univers de cossins que l'industrie déployait pour le plus grand plaisir des scrapeurs : des boutons de toutes les couleurs, des pelotes de laine, des coquillages, des poupées de chiffon miniatures à coller, des minis cadres aux couleurs de l'arc-en-ciel, des imprimés en forme de fausses-découpures vintage : anges à trompettes, bébés joufflus, petits matelots et enfants au cerceau, belles dames bien en chair et tout sourire. Tout était désespérément cute. Des tas de reproductions miniatures de la Joconde, de la Création de l'homme, du Klimt, du Chagall, du Monet; pas de sexe, pas d'enfants faméliques, pas violence ni de sang.


Et pourtant, il y en avait, de la tension dans l'air. Comme le 23 décembre au centre commercial, et on pouvait sentir l'agressivité qui s'emparait des scrapeurs dans les rangées trop achalandées où ça se bousculait et s'arrachait des feuilles, des vignettes, des brillants et des collants. Le sang n'était pas loin de couler! Et c'était aussi bien clair que cette frénésie qui s'emparait de toutes ces grandes personnes qui n'en finissaient plus de saliver et de s'extasier devant des chaudières pleines de stylo-feutres, de petits pots de gels brillants, que ce qui se manifestait là, sous mes yeux ébahis, était sans nul doute l'expression d'une forme d'érotomanie ― perverse et peu commune, il est vrai, mais tout de même.


J'ai entendu un enfant qui pleurait – toute à son délire, sa mère avait dû l'oublier.


Y'avait trop de monde et j'ai eu la nausée, je suis sortie sans rien acheter (mais fait-il croire les fétichistes?) J'ai franchi les portes de la nouvelle succursale en me demandant si ce qui me restait d'humanisme en sortirait indemne. Et puis à peine dehors, je me suis dit que j'étais trop bête, que j'aurais dû en profiter pour me prendre au moins un pinceau de kolinski.


Faisant en moi-même quelques réflexions sur la bêtise de ces gens-là, heureuse que la folie m'ait épargnée, je pressai le pas : là bas, à l'atelier, une forme d'art plus haute et plus subversive m'attendait: la carte de Noël.

mercredi 21 novembre 2007

Mise en garde


Avertissement : le lecteur qui serait lui-même atteint d'une forme sévère de fétichisme de la couleur devrait se garder de cliquer sur le lien du site que nous commenterons dans cet article à moins que cela soit fait en présence de son thérapeute et que celui-ci l'en juge capable. Pour notre part, nous déclinons toute forme de responsabilité quant aux comportements que la lecture de ce site pourrait susciter chez les personnes déjà dérangées.



Certains auteurs ne mesurent pas l'effet que peuvent avoir leurs écrits sur des esprits atteints de troubles graves. Ils sont en fait à cent lieues d'en imaginer même le quart.


Ainsi, l'auteur du site www.handprint.com se présente comme un homme de bonne volonté qui, mu par le seul désir de mettre le consommateur en garde contre les manœuvres trompeuses des compagnies qui produisent nos grandes marques d'aquarelles, a consacré des milliers d'heures à la production de ce site. Sans craindre les représailles de quelques vieilles madames qui doivent être aujourd'hui en centre d'accueil, il y dénonce la clique odieuse des aquarellistes de la vieille garde qui refusent de troquer le pigment fugace pour celui qui brillera encore de mille feu dans dix mille ans d'ici, préconisent encore l'emploi de la laque de garance, du cramoisi d'Alizarine, de l'auréolin, du PR60, duPY35 et du PG8. et portent de ce fait la responsabilité de la mauvaise presse que peut avoir notre beau medium sur le marché de l'art, des conditions misérables dans lesquelles survivent, de peines et de misères, les collègues qui se sont convertis aux quinacridones, pérylènes et autres pigments qui passeront les siècles et ce monde lui-même sans ternir.


L'auteur de ce site a donc entrepris la tâche titanesque de tester à peu près tous les pigments offerts par une bonne douzaine de grandes marques en les exposant aux éléments selon une procédure bien contrôlée pour accélérer le processus de décoloration sous l'effet de la lumière et ce, sans jamais accepter de se laisser corrompre par des compagnies qui lui auraient offert gratuitement des tubes à tester, chose qui aurait pu le faire soupçonner de manquements au principe de l'objectivité scientifique.


Vu l'incroyable investissement financier que l'entreprise supposait, je suspecte notre bonhomme d'être fétichiste, ce que semble corroborer le plaisir évident qu'il prend à se soumettre à une procédure qu'on peut sans se tromper qualifier de maniaque, avec toute la frénésie d'un Don Quichotte convaincu de défendre l'artiste ignorant contre la vilaine clique des Winsor et Newton et Cie., et le cartel des aquarellistes de la vieille garde.


Quoiqu'il en soit, le fétichiste qui mettra les pieds dans ce haut-lieu des plaisirs pervers n'en sortira pas indemne. On peut même supposer qu'il n'en sortira pas avant plusieurs années, sinon pour faire de brèves incursions au bureau de poste, le temps d'aller y chercher les tubes de pigments qu'il aura été inspiré, cette semaine là, de commander en se disant qu'il fait cette sage dépense pour que le blason des honnêtes aquarellistes soit enfin redoré et que le marché de l'aquarelle s'en porte mieux .


Comme l'enfant qui met pour la première fois les pieds dans un magasin de jouets, le fétichiste sera tout de suite transporté au septième ciel. Des pages et des pages de colonnes de paramètres de mesure de la couleur tous plus captivants les uns que les autres s'offriront à ses yeux émerveillés, lui promettant des milliers d'heures d'exploration, d'excitation, de fascinant suspense (tant qu'il n'aura pas lui-même achetée et testée selon à peu près les mêmes fascinants paramètres la dite couleur), de jouissance qui se révèlera parfois être pure jouissance de la découverte et du savoir (il se sentira alors brusquement élevé au statut de pur sujet connaissant), mais à d'autres moments, jouissance plus trouble, difficile à cerner, moins avouable, il faut l'admettre.


Il découvrira là (http://www.handprint.com/HP/WCL/waterfs.html), entre autres choses, la mesure du « drying shift » de chaque pigment pour chacune des douze marques testées, la mesure de sa transparence, de ses effets de granulation, de diffusion, sa valeur chromatique, la mesure de la stabilité de la couleur et de sa résistance à la lumière, paramètre si cher à l'auteur qu'il ne semble pas avoir hésité une seconde à y consacrer toute son existence sans rien espérer en retour que le seul plaisir de contribuer à l'essor du cours de l'aquarelle sur le marché de l'art.


Conséquence : le lecteur fétichiste, qui aura déjà accumulé assez de matériel pour fournir en aquarelle tous les étudiants de la faculté des Beaux-arts pendant au moins dix ans sera consterné de constater à quel point ses achats impulsifs de consommateurs ignorant l'ont amené à se procurer des pigments sans valeur auquel il lui faudra renoncer pour reconstruire sa petite collection. Et lorsqu'au bout de deux ans, il sera enfin en possession d'un matériel digne d'un fétichiste de la couleur bien cultivé, éclairé et averti, il réalisera que bon nombre des choses qu'il a peintes étaient en fait destinées a être numérisées et que très souvent, cet épineux problème de la résistance du pigment à des siècles d'exposition au plein soleil de l'équateur n'est, somme toute, pas si lourd de conséquences qu'il pouvait paraître à prime abord, et qu'il a peut-être un peu trop vite renoncé à tous ces délicieux tons de garance, au cramoisi d'Alizarine, à l'auréolin, au PG8 etc. – et qu'il ferait bien de regarnir les étagères vidées trop hâtivement.


Ceci dit, je crois pouvoir sans trop me tromper prédire que le fétichiste de la couleur moyen pourra se vautrer cinq à six ans dans les statistiques rapportées dans ce site, ce qui veut dire qu'on lui offre la possibilité de goûter pendant des milliers d'heures aux joies de la découverte et aux plaisirs délicats de l'analyse comparative.


Pour ma part, je n'ai pas la naïveté de croire que les sujets affligés de ce type de perversion que je ne connais que trop résisteront plus de dix secondes à l'avertissement qui figure en en-tête de ce billet. Ça n'aura pas été faute d'avoir ménagé mes efforts ni regardé à la dépense pour les mettre en garde. Mais je sais bien, au fond, que je n'écris que pour quelques « happy few », proches soucieux de comprendre le mal de leurs amis ou parents désireux de prévenir l'apparition chez leurs enfants des premiers signes de la maladie, c'est-à-dire pour 3 à 4 personnes dans l'univers tout entier. J'espère qu'elles auront la présence d'esprit de googler l'expression : « formes sévères du fétichisme de la couleur » afin de trouver leur chemin jusqu'ici. Si elles y a parviennent, les efforts que j'aurai bénévolement et tout philanthropiquement déployés pour mettre le monde en garde n'auront pas été vains. Que la force soit donc avec elles. Si je peux espérer sauver une seule âme du fléau que représente ce site que je n'ai pas encore réussi à faire fermer, j'estimerai ma mission accomplie.


La liberté d'expression ne saurait en aucun cas justifier qu'on ferme les yeux sur l'exploitation des misères des malades mentaux à des fins purement mercantiles. Si vous désiriez soutenir cette cause que je fais mienne et aider à faire fermer le site www.handprint.com, venez signer ma pétition dans la section « commentaires » après avoir cliqué sur un des liens ci-dessous.


Merci de votre soutient.




mardi 20 novembre 2007

Le peintre du dimanche


Avertissement :


Je prie ici le lecteur qui serait tout de suite tenté de conclure que je suis en train de l'insulter d'être attentif au fait que ce n'est pas parce qu'il peint le dimanche que je le catalogue d'emblée dans la catégorie des peintres du dimanche. On peut fort bien peindre le dimanche, et même ne peindre que le dimanche, et ne pas être un peintre du dimanche. À l'inverse, on peut peindre tous les soirs de la semaine entre 22 h et minuit et demeurer irrévocablement peintre du dimanche.


Il y a trois grandes motivations qui déterminent la carrière de peintre du dimanche. Mais pour peu qu'on y regarde de près, on ne manquera pas de percevoir qu'elles peuvent toutes être aisément ramenées à une seule dépravation première et fondamentale, une perversion aussi répandue qu'originelle, à savoir : le fétichisme (eh oui, encore!)


Il y a tout d'abord le fétichisme du sujet qui demeure la forme de fétichisme dominante chez les peintres du dimanche. D'aucuns collectionnent les jolis paysages, ont un amour fétichiste des cabanes à sucre, des corbeilles de fruits ou des beaux visages. Et comme le fétichisme ne se contente pas d'aimer mais veut avoir auprès de soi, en tout temps, l'objet de son désir pervers, il exigera que le Rocher Percé décore son salon, voudra une cabane à sucre pour l'inspirer dans son bureau, des fleurs des champs au mois de janvier, un visage parfait aux murs de sa chambre à coucher… La peinture lui sera utile, elle lui permettra d'obtenir tout cela à moindre frais en éveillant de surcroît la jalousie des voisins qui rêvent depuis longtemps d'avoir eux aussi avoir leur propre Rocher Percé.


Cette forme de fétichisme a ses adeptes, mais je n'en suis pas. S'il y a des thèmes récurrents dans mon œuvre, ce n'est pas par fétichisme du sujet, mais faute d'avoir le temps de m'exercer à peindre des choses plus variées dans la mesure où la forme de fétichisme dont je suis atteinte (j'y viens) m'amène à consacrer pas mal de mon temps libre à écumer les boutiques spécialisées et à feuilleter les catalogues.


Parce que par-delà le fétichisme du sujet, il y a l'amour fétichiste du matériel d'art, bien plus primaire et coûteux. Il s'exprime, selon les individus, comme fétichisme du support (ici, l'aquarelliste aura plus à se mettre sous la dent que celui qui aura choisi la peinture à l'huile, le papier étant une matière autrement plus sensuelle que la toile), des instruments (vous verrez tout plein de fétichistes au rayon des pinceaux de kolinski), ou encore de la peinture. L'atteinte peut d'ailleurs être généralisée.


En tout cela, la maladie de l'aquarelliste sera plus lourde de conséquences que celle l'amateur de peinture à l'huile ou d'acrylique, le kolinski étant bien plus coûteux que les soies de porc ou les pinceaux de nylon et les couleurs, dont le cours avoisine parfois celui de l'or, pas mal plus onéreuses. Ainsi, les 15 ml de violet de cobalt, bien de première utilité s'il en est un, se vendent chez Holbein 35 dollars américains avant l'imposition des taxes; c'est dire si l'amateur a avantage à en faire provision en ces temps où la devise canadienne prend du poil de la bête!


Mais tout medium confondu, le fétichisme du matériel deviendra tôt ou tard source de gêne financière. Il n'est pas rare que le sujet se ruine sans qu'on ait pu prévenir le désastre, faute de l'avoir vu venir. Les premiers symptômes passent généralement inaperçus, alors que c'est précisément à ce stade de l'affection que le sujet devrait être traité. Les collègues attentifs remarqueront qu'il commence à fuir la cafétéria alléguant les prétextes les plus incroyables pour justifier le jeûne et les privations auxquels il se soumet sans raisons apparentes. On aurait tort de conclure trop rapidement à l'anorexie, surtout si on constate que le vendredi, l'ascète s'empare des économies qu'il a pu réaliser en se privant de cinq repas pour se ruer, magot en main, vers les lieux de ses honteuses débauches : les boutiques de matériel d'art où il n'est d'ailleurs pas rare de voir l'affligeant spectacle de fétichistes tout prêts à offrir leur veste pour une coupelle de porcelaine ou un repose-pinceau lorsqu'ils ne sont pas en train de prostituer leurs enfants à quelques rues de là.


L'étiologie nous révèle que ce type de peintre du dimanche ne commence à s'intéresser à la peinture que sur le tard, parce qu'il faut bien s'y mettre un jour pour tenter de justifier un tant soit peu l'achat de tout un matériel digne d'un professeur aux Beaux-arts.



Il faut enfin aborder le cas du fétichisme de la couleur, que le peintre du dimanche vivra dans la honte et l'opprobre, sachant que les couleurs n'ont individuellement aucun intérêt pour le vrai peintre, mais incapable de résister à l'attrait tout psychologique que les couleurs peuvent exercer sur lui puisqu'il est atteint, rappelons-le, d'un mal chronique qu'il n'arrivera pas à combattre seul. Il sait bien qu'au fond, il ferait mieux de s'adonner au scrapbooking ou à la décoration intérieure. Mais soit qu'il craigne de trop bouleverser son environnement immédiat, qu'il ait été traumatisé par la furie des scrapeurs prenant d'assaut un beau lundi après-midi la toute nouvelle succursale locale d'Omer de Serres (nous reviendrons sur ce triste événement dans un prochain billet) ou encore que son fétichisme du de la couleur se combine à un fétichisme du matériel, il se bornera ou s'entêtera, c'est selon, à décorer du papier hors de prix avec des pigments eux aussi hors de prix.


Tant que cette forme d'affection reste bénigne, elle est encore supportable : le peintre du dimanche pourra s'amuser à recréer toutes les couleurs de l'arc-en-ciel à partir de deux triades de primaires (une chaude et une froide), d'un peu de blanc et de quelques tons de terre. Cela n'a rien de bien méchant. Mais lorsque ce type de fétichisme apparaît chez un sujet où on a déjà pu observer des comportements qui manifestent un fétichisme du matériel, l'atteinte est plus grave et les choses ne tarderont pas à se compliquer.


Nous aborderons les formes plus sévères de fétichisme des couleurs dans un prochain billet.

vendredi 16 novembre 2007

Résolument fétichiste

J'aime les boîtes à thé, l'odeur du thé au jasmin, de la bergamote, les parfums d'agrumes et bien sûr l'odeur de l'herbe coupée, des violettes et de l'encre. J'aime les encriers, les jolis porte-plumes, les lavis d'aquarelle, le papier vergé, le crissement de la plume sur le papier, les boîtes de bois sculptées, les vieux bouquins joliment reliés, le vieux cuir ouvragé. Même si je ne sais pas coudre, j'aime les jolis paniers à ouvrage en osier, même si je n'aime pas en porter, j'aime les dentelles anciennes et les rubans de soie. J'aime fouiner dans les brocantes pour y trouver de jolies tasses dépareillées, de belles soucoupes de porcelaine.

Je l'avoue, je suis fétichiste.

Pourquoi la porcelaine devrait-elle me « parler » plus que le plastique, la dentelle plus que le nylon, le porte-plume, plus que le stylo feutre, sinon parce que ce sont pour moi des objets anciens que la nostalgie rend intéressants? J'imagine que mes petits-enfants contempleront en souriant les bébelles de plastiques que je dédaigne aujourd'hui.

Mon fétichisme est une forme de régression.

Je m'entoure de fétiches comme d'autres ont des amis imaginaires. Je n'en ai pas honte. J'assume mon infantilisme.

Peut-on vraiment renoncer aux délices de la régression? Les délices de l'oreiller et du duvet, le sommeil encore plus, tout cela est recueillement, régression. Le bonheur n'est-il pas toujours forcément une forme de régression, et donc de narcissisme?

Je l'avoue, je suis narcissique. Je ne m'en cacherai pas, je n'essaierai pas de ne pas l'être. De toute façon, j'ai parfois l'impression d'en émerger lorsque le désir semble m'éjecter la tête hors de l'eau, m'expulser hors du ventre maternel.

Le bonheur est peut-être incompatible avec le désir qui nous défait de nos liens, nous libère, nous éclate extatiquement vers l'avenir, lieu de tous les possibles, de la tentation, de la transgression. Là, nous nous renouvelons. On n'y trouve ni bonheur, ni plaisir, mais l'exaltation, l'ivresse, la joie.

Je passe de l'un à l'autre, je parais quitter l'un pour l'autre et ce va et vient me semble salutaire. Fuite en avant, repli sur soi, le danger ne serait-il pas de succomber entièrement à l'une de ces deux tendances?

Si on ne se satisfait pas de ces allez-retours, on peut encore lorgner du côté de ces lieux de convergence où bonheur et désir semblent se croiser, comme en ce jeu des possibles auquel on prend un évident plaisir : l'imaginaire. Ça devient parfois un refuge stérile, mais on peut aussi tâcher d'en tirer quelque chose, d'en faire quelque chose, selon qu'on choisisse d'aller de l'avant ou à rebours. Il y a encore nos enfants. L'amour qu'on leur porte est trop évidemment narcissique – mais peut-être pas exclusivement narcissique. Les enfants des autres savent aussi nous émouvoir, et nous faire espérer. Ils représentent pour nous ce lieu de tous les possibles, ne cherchent pas encore le bonheur. Et puis il y a encore nos œuvres, grandes et petites. On peut y goûter tout à la fois les joies de la création et les plaisirs de Narcisse qui contemple sa progéniture.

Et voilà que je me plais ce matin à interpréter toutes les pratiques des hommes, les croyances et les systèmes de pensée à la lumière de cette double tension du bonheur et du désir qui n'est elle-même, bien évidemment, qu'un autre fétiche. C'est que l'ordre me rassure. Par la mise en ordre, les choses et les idées se transforment en monde, deviennent mon monde, ma demeure narcissique, mon carré de sable. En cela encore, je rejoins le primitif qui reprend périodiquement le récit de création afin que le monde soit recréé, qu'il ne verse pas dans le néant. Bien plutôt : j'arrache les idées et les choses au chaos, je construis, j'institue le sens, je suis Dieu. Chaque fois que je mets en ordre, que je m'adonne à mes tâches ménagères, que je repense la disposition de mes fétiches, je savoure ma divinité, délicieuse régression.

Je me plais à découvrir brusquement que ce billet n'est en fait que la répétition insupportablement complaisante de ce que j'ai déjà lu tant et tant de fois. J'aime surtout l'idée que demain, un vent d'ironie aura soufflé sur tout cela, que ce billet me paraîtra ridicule et que j'en rirai.

Et puis que tout reviendra inlassablement, comme cela a déjà été le cas une infinité de fois.

vendredi 2 novembre 2007

Plaisirs de l'encre

La Révélation, je l’ai vécue à huit ans, le jour où j’ai reçu mon premier stylo plume. C’était un Shaeffer pour étudiant rouge dans lequel j’insérais des cartouches d’encre « bleu royal » ou « bleu paon » en évitant le triste et terne « bleu noir ». Quelle découverte c’était de sentir la plume métallique gratter, ou plutôt caresser le papier, l’encre s’en écouler, belle et humide, d’avoir ce parfait contrôle de la main qui trace le trait, du geste qui étire la minuscule flaque d’encre. Ces petites et grandes joies, le stylo bille ne peut les procurer.

Jubilation, jubilation, c'était l'extase! Écrire dans l’humide est un délice (un vice!) que trop peu d’enfants ont la chance de découvrir. Devant mon enthousiasme, ma mère n’a pas résisté et m’a offert un beau Parker 51 de la petite collection de mon père. J’entrais dans les ligues majeures, j’étais aux anges. C’était un stylo parfaitement calibré. Je me le suis fait voler en moins d’un mois, mais depuis, la passion de l’encre ne m’a plus quittée.

Confession d'adepte : j’ai d’abord aimé fanatiquement, presque comme des fétiches, les stylos plumes : les Waterman, les Pelikan, les Parker (les marques que je peux me payer), et puis ces petits bijoux de prestige qu’on admire de loin en rêvant de les essayer, mais en sachant qu’on ne se permettra jamais si folle dépense, même si on en avait un jour les moyens – ça me semblerait carrément immoral.

Il m’a fallu attendre presque trente ans pour que la grâce me touche à nouveau. Il y a quatre ans, l’Esprit-Saint descendit encore sur moi seconde Révélation qui fut celle de la calligraphie. Je raconterai dans un autre billet les satisfactions que j’ai pu y trouver, mais qu’il suffise pour l’instant de dire que ce fut l’occasion de redécouvrir les plaisirs de l’encre avec plus d’intensité que jamais. Plaisirs indescriptibles de la plume métallique, pointue ou en biseau, qu’on insère au bout d’un simple porte-plume de bois et qui devient au stylo plume ce que celui-ci est au stylo bille! Plaisir de la plume d’oie que je ne parviens pas encore toujours à bien tailler, mais qui est à la plume métallique ce que celle-ci est au stylographe; plaisir du calame qu’on taille soi-même, qui se manie tout en légèreté et dont les possibilités sont quasiment infinies; plaisir du pinceau chinois dont la pointe nerveuse, toute gorgée d’une belle encore noire, rendra des traits d’une expressivité sans pareille j’aime tous les instruments d’écriture. Chacun me procure une jouissance propre, rend possibles de nouveaux mode d’expression.

Mais ces instruments ne seraient rien sans l’encre qui les fait vivre. Il faut au moins une fois avoir humé l’odeur de l’encre de Chine qu’on délaie en frottant le bâton sur la pierre d’encre, avoir plongé le regard dans ce noir profond et riche! Mais il faut aussi découvrir les plaisirs de l’encre ferro-gallique, l’encre des moines copistes, parfaitement adapté à cet la plume d’oie, de l’aquarelle et de la gouache.

Je trouve dommage qu’on ne laisse plus les enfants se salir les doigts à l’encre des jolis encriers, qu’ils ne connaissent plus la surprise de la tache d’encre inopinée qui tombe de la plume au moment où on ne s’y attendait pas. C’est un plaisir dont je ne prive pas mes filles.