Ou Confession honteuse
À entendre les profs parler de leur job, on a parfois l'impression que ce sont tous des Jeanne d'Arc qui ne vivent que par la vocation. Soyons un peu réalistes, il n'y a pas que des passionnés dévoués jusqu'à la mort dans ce métier, mais on entend moins parler de ceux qui se situent à l'autre bout du spectre, les fonctionnaires de l'enseignement. Je ne dirais pas qu'ils sont légion non plus, ceux-là. Reste silencieuse, aussi, la majorité silencieuse (drôle de coïncidence), enfin, tous ceux qui ont l'impression d'être affecté par quelque tare congénitale parce qu'ils exercent un métier et non une vocation. Je fais partie de cette majorité silencieuse.
Après des débuts difficiles, il faut bien l'avouer, j'ai connu quelques bonnes années. Avec quelques instants de grâce, du genre de ceux où on s'exclame, à 16h20 : « Hé, groupe, on vient encore de prolonger le cours de 20 minutes sans s'en rendre compte » (chose que je n'ai pas dit depuis un certain temps, je vous l'assure, si on dépasse et qu'ils se taisent, c'est désormais par pure politesse) ou encore quand on se rend compte que 25% d'un groupe s'inscrit en philo à la fac (O.K., ça n'est arrivé qu'une fois et ces temps-ci, la courbe des vocations de philosophes est en chute libre dans mes groupes). Ce temps-là me semble définitivement révolu. J'estimais que c'était, au bout du compte, assez cher payé de ma personne, de ma santé et de ma famille comme investissement pour en arriver là : état de surexcitation permanent (bien sûr, il y a les chanceux qui ont un charisme naturel si fort qu'il parviennent à faire deux fois mieux en restant dans un état de perpétuelle zénitude, mais moi j'avais besoin d'excitants puissants), 2 cafetières d'expresso, peu de sommeil pour rester bien surexcitée tout le temps, mes cours à l'esprit jour et nuit mais juste pour rester dans « l'état d'esprit » parce que je me faisais un point d'honneur de ne jamais donner deux fois le même cours, de tout préparer mentalement au quart de tour pour tout envoyer promener une fois devant le groupe et me lancer dans une improvisation qui se voulait du « on pense en semble et vous voyez à quoi on parvient ». O.K., je pouvais pousser les élèves assez loin comme ça, dépasser amplement les objectif du programme enrichi du BI. Une élève est venu me dire que ses cours de troisième année de philo à l'université étaient si « simplistes », comparé à ce qu'on faisait ensemble – tel autre élève, devenu prof à son tour, me disait qu'il ressortait ses notes de cours sur Kant alors qu'il faisait sa maîtrise en sciences po et tout cela me mettait aux anges, bien sûr.
C'est sûr que je ne réussissais pas toujours aussi bien avec tous les groupes et tous les élèves, mais bon, ça allait. Ou plutôt non, ça n'allait pas. Parce que les jours où je n'entendais pas des « madaaaaaaame, on vous aiiiiime », j'étais plus tourmentée que les damnés de l'enfer. Alors quand j'en voyais un qui dormait, imaginez! Est-ce que ça allait mieux quand on me disait « madaaaaaame, on vous aiiiiiiime teelllllement »? Pas du tout, parce que je n'avais qu'une idée en tête : faire mieux. Et au ventre, j'avais toujours l'angoisse épouvantable de ne pas faire mieux.
Les hauts et les bas de la vie d'artiste, quoi! Et pendant ce temps-là, F1 dessinait des petits bonhommes tout noirs qui pleuraient et m'expliquait : « Il pleure parce que sa maman n'est pas là. » (J'imagine qu'il se faisait trop garder chez sa grand-maman) L'Encrier en avait marre, et j'étais perpétuellement stressée. Ça ne pouvait pas durer et j'ai finalement décroché. La naissance de F2 m'a drôlement aidée : quand une enfant ne dort pas du tout durant toute la première année sauf si vous l'avez dans vos bras (quelle blague cette idée du nourrisson qui dort 23 heures par jour, c'était zéro minute pour F2 si je ne l'avais pas dans les bras), quand une enfant ne fait toujours pas ses nuits à 3 ans et que cela fait justement 3 ans que vous n'avez pas dormi plus de 2 heures en ligne dans le meilleur des cas et plus de 4 heures par nuit les jours de chance, vous ne pouvez plus soutenir ce rythme, vous ne le voulez plus. Vous donnez un cours fatiguée et il est plate. Pas tellement de répondant de la part des élèves bien sûr, et comme vous carburez vraiment au répondant, ça n'en est que pire. Fut un temps où j'avais beaucoup de paires d'yeux enthousiastes devant moi, mais ce temps me semble bien révolu. C'est toujours les mêmes 4 ou 5 par groupe qui « participent » et cette participation se limite parfois à poser de simples questions de compréhension. Fini le temps où surgissaient spontanément les discussions passionnées. J'en ai bien quelques uns d'allumés, mais dans l'ensemble, je fais dormir. Et puis, je décroche graduellement parce que je suis tannée de constater à quel point je deviens soporifique, mais simplement parce qu'il y a trop d'autres choses que j'ai vraiment envie de faire.
Ceci dit, je travaille depuis dix ans pour l'une des plus anciennes institutions d'enseignement au Québec. Elle a un campus en Outaouais, dernier reliquat de sa section collégiale. Nous appellerons cette Vénérable Institution disons… P.S.Q. (ce qui peut vouloir dire n'importe quoi). Donc, l'an dernier, quand les trous vénérables administrateurs nous ont annoncé, alors qu'on se défonçait depuis des mois en vue de recruter le plus d'élèves possible et que la cohorte à venir s'annonçait des plus prometteuses, qu'ils avaient décidé depuis des mois de fermer le campus et que l'édifice était à vendre depuis un bon moment, j'ai été presque soulagée. Puisqu'il fallait mener à terme la cohorte qui n'avait pas terminé (nous étions les seuls à offrir le programme de Baccalauréat international dans la région), les vénérables administrateurs nous ont changé notre statut d'employés et nous sommes tous devenus profs à la leçon, ce qui leur permet, rusés petits stratèges, de bénéficier de notre travail quasiment bénévole et de ne pas avoir à nous payer d'indemnités lorsqu'ils mettront définitivement la clé dans la porte, à savoir en mai cette année.
Je n'envoie pas de CV, je veux passer à autre chose. Mon projet : faire de la papeterie de mariage. Bien sûr, ce ne pourra être qu'un revenu d'appoint, mais depuis le temps que l'Encrier rêve que je quitte l'enseignement, depuis le temps que mes enfants ont besoin de moi, depuis le temps que j'en ai marre d'être rongée de l'intérieur… ;)
À suivre…
23 commentaires:
La vie n'est-elle pas une suite de renouveau?? De nouveaux défis...
IL parait que lorsqu'on a baigné dans un domaine 4-5 ans, il est normal d'avoir envie d'autre chose... POur moi, c'est tellement vrai..;-)
tu as un beau projet et je suis certaine que ça marchera!!
Je vous lisais en entendant une musique connue lorsque l'aiguille a soudainement dérapé sur le disque. Papetterie de mariage !? Vous voulez dire du scrapbooking spécialisé? Après avoir lu ce que vous avez écrit à ce sujet, j'en reste quand même un peu surpris ;)
... mais pas si surpris quand même.
Dois-je comprendre qu'il y aussi de nouveaux défis à l'horizon pour toi, Caro? :) (voyage??)
Ce bref réveil, il ne faut jamais prendre au complètement au sérieuxce que j'écris. Il y a touojours une part de mensonge (sinon, pourquoi écrire un blog?). J'ai plublié des choses assez proches du scrapbooking, non? Et puis il me semble que dès qu'on dit "collimage" (merci Sahée), ça sonne déjà mieux.
Mais il est plutôt question de calligraphie (plutôt conventionnelle, soit mais je ne crois pas pouvoir me trouver des clients si je donne dans le trash). J'expliquerai dans la troisième partie, peut-être ce soir même parce que ça a été vachement thérapeutique d'écrire ce (long) billet d'aveux et que j'ai déjà hâte de passer à la suite des choses ;)
On sent ici beaucoup de tristesse. Un deuil...
Ah oui? pas vriament en fait. J'ai essayé de mettre le paquet côté ironie, j'ai peut-être raté mon coup... Il y a beaucouop de ;) sous-entendus dans le texte ;)
En fait, j,en suis simplement au constat que :
- je ne suis pas capable d'accepter d'être plate, ça me tue (donc, vraiment pas envie d'aller donner mes cours pour la prochaine session, j'y vais à reculons).
- j'ai vraiment envie depasser à autre chose.
Enthousiaste pour l'avenir ;)
Mais tu as raisoon : tristesse tout de même d'avoir un peu sacrifié mes enfants à mon travail pendant trop longtemps :( Cela a changé après la naissance de F2, mais F1 a subi cela :(
Il est difficile arfois, de mener une vie professionnelle sereine, qui nous satifasse complètement.
Un travail ne peut être qu'alimentaire, si l'on est nourri à côté par d'autres choses.
Je trouve géniale cette idée, de faire, au bout compte, après avoir vécu une aventure professionnelle, quelque chose d'autre, de différent, de nourrissant QUE pour soi.
Je te souhaite que ton projet devienne réalité :))
Encre ma chère, comme disait un ami indien espérant meilleur d'une réincarnation à venir: il faut battre le fer quand il est chaud, qui sait si je vais revenir sous la forme d'un ver à soie. Ca magasine mal au La Baie, un ver à soir. Alors, comme dit Le Devoir, fait ce que doigt.
Et pour répondre à ton très sympathique commentaire, nah je ne suis pas publié. Ma mère veut pas. Mais sait-on jamais. Ce sera difficile de publier en ver à soie, surtout avec un verre à soi, alors on verra de quoi 2008 sera fait.
Non, mais dans ma vie, je fais un cycle avec mes défis, mes intérêts... J'ai plusieurs vies...;-)) Mais je reste toujours la même et je suis fidèle à mon homme...lolol...
Un changement, ca vaut la peine d'essayer,surtout si ça permet plus de temps avec les enfants.Ce temps-là n'est jamais perdu.
Vouloir rester à la maison parce que ça nous plaît,parce qu'on veut se partir une entreprise, parce qu'on en a ras-le-bol de l'enseignement, parce qu'on a d'autres rêves à réaliser, parce qu'on a envie d'être le témoin privilégié des finesses de la petite dernière, mais pourquoi pas?
Mais le faire en pensant que sans nous nos enfants seront "sacrifiés", c'est pas un peu fort quand même? ;o) C'est pas le mythe de la mère au foyer qui nous a préparé une tarte aux pommes au retour de l'école? Je sais bien qu'il n'y a pas une seule vérité ni une seule façon de vivre et d'élever nos enfants, mais je ne pense pas que les enfants de parents qui travaillent soient nécessairement sacrifiés. C'est du cas par cas. Il y a un certain sentimentalisme dans tout ça, pas nécessairement malvenu, mais pas partagé par toutes les mères. Les pères, eux, le plus souvent, on ne leur offre pas ce luxe de se tourmenter sur leur désir de quitter leur emploi pour s'attendrir au quotidien des finesses de la progéniture, on les renvoie assez rapidement au travail une fois le congé parental terminé, en supposant qu'ils y aient goûté au congé parental payé. Je m'insurge un peu contre ce choix de rester à la maison ou de travailler qui semble exclusivement féminin ou presque, bien qu'il y ait des exceptions, comme dans le blogue "Les rôles inversés", blogue fort intéressant en passant. Bon, mon commentaire commence à ressembler à une thèse, chère Encre, vous n'en demandiez pas tant! ;o)
Solange, je veux justement quelque chose qui me permette de ravailler surtout à la maison et de pouvoir gérer mon emploi du temps comme je l'entends. Je sais que cela fait beaucoup de "je veux", mais je n'ai pas vraiment pas de grosses attentes monétaires, alors je crois que cela compense ;)
Cloudy, merci pour tes souhaits! C'est parce que je suis incapable d'enseigner "juste pour le salaire" que je quitte. Pour avoir connu le "drive" incroyable que donnent des groupes d'élèves vraiment allumés, je peux dire que c'et de l'ordre des drogues dures. Quand tu n'as plus ça, tu ne peux plus t'en passer, continuer sans. (Mais quand je l'ai eu, ce drive, ce n'était pas meilleur pour ma "santé", ça me survoltait, mais c'était loin de m'apaiser ;) Je crois (je sais) que je n'ai pas L'équilibre nécessaire pour ce métier. On finit par se connaître ;)
Cher Philémon, ma plume fera donc ce que doigt cette année :)) Je te souhaite aussi une année 2008 pleine de rebondissement : dépêche-toi de réaliser tes rêves avant de devenir une bibitte destinée à servir l'industrie du sous-vêtement de luxe (ça ne te déplairait peut-être pas, mais dis-toi que dans ce monde capitaliste, le producteur est dépossédé du fruit de son travail - il ne peut en jouir).
Caro... hum, ouais. Il faudrait bien que je te présente quelques séduisants vieillards pour tester cette fidélité à toute épreuve, après on verra ;) C'est chouette de te lire à nouveau :) PS. Tu devrais aller voir sur le site de Ce bref réveil - pas de séduisants vieillards, mais des conseils pour voyager gratuitements aux frais de la science. Tu dois remonter quelques jours en arrière pour avoir le début des explications.
PPS. Je te réitère (avec un sans-gêne consommé) ma demande d'un "spécial aligator" sur ton blog ;)
Femme libre, je n'avais pas vu votre message - je quitte là, mais je vous répondrai cet après-midi ;)
Femme libre, ce que j'aime des blogs, ce sont les discussions qu'ils suscitent. Les longs commentaires ne me dérangent pas, tout au contraire!!! :))
Pour ce qui est du travail des femmes, je suis tout à fait d'accord avec vous. Ce que vous n'avez pas à l'esprit parce que je ne l'ai qu'évoqué en passant, c'est que quand F1 était petite, je ne vivais que pour mon travail, ce qui veut dire qu'elle couchait chez ma grand-mère 2 à 3 fois par semaines, que les autres soirs, elle se faisait garder par ma mère de 7 heures le matin à 5h30 le soir et parfois 6heures, que je travaillais à mes cours le weekend et c'était trop. J'étais incapable de conserver un équilibre et elle a trop souvent passé en second. Quand un enfant de 3 ou 4 ans vomit durant la nuit, que vous êtes à ses côtés et que son petit cri d'angoisse qui sort spontanément, c'es "grand-maman, j'ai vomi" plutôt que "maman, j'ai vomi", quand cette enfant ne dessine que des bonhommes noirs qui pleurent en vous expliquant qu'ils "pleurent parce que leur mère n'est pas là", il y a un problème à mon avis. Ceci dit, il y a des gens qui n'ont pas le choix. Et s'il y a un parent qui travaille plus que l'autre (nous, nous travaillions tous les deux beaucoup), ça n'a pas à être forcément le père. Mais je n'ai pas l'impression d'avoir été assez présente pour F1, et lorsque j'étais là, j'avais souvent la tête ailleurs, je travaillais à mes affaires, j'étais fatiguée et je manquais vraiment de patience (enfant pas facile, mais c'était peut-être sa façon d'attirer mon attention).
On diait que c'est la semaine des confessions honteuses ;)
Enfin, dans ce cas-ci, c'est plus une confession douloureuse qu'honteuse.
(Mais là j'arrête de me confesser comme ça, je risquerais de rêver à Michel Foucault ce soir)
Enfin, dans ce cas-ci, c'est plus une confession douloureuse qu'honteuse.
(Mais là j'arrête de me confesser comme ça, je risquerais de rêver à Michel Foucault ce soir)
Encre, j'ai un aveu à vous faire. Je n'ai ni rêvé à Foucault ou J-C mais à vous! Vous et votre projet de calligraphie de mariage. J'ai rêvé que parmi vos produit vous aviez une série de faireparts cyniques. Je ne me souviens que d'un d'entres eux qui disait "Pour le temps que ça durera, nous n'avons choisi que du papier kraft"
Je sais cela parait ridicule rapporté comme cela, mais dans mon rêve c'était très drôle et je me suis réveillé avec le sourire.
LOLOL!
J'adore utiliser du papier Kraft. Pour le reste, j'allais vous dire dans la description de mon projet que je n'allais pas commencer par un ligne trash (du genre calligraphiée à la lame de cutter trempée dans du sang de cochon - pas du sang humain, quand même), mais là, je m'interroge. Cette attitude craintive et complaisante risque de conduire tout droit à l'ennui. Vous avez peut-être raison. Ce bref réveil : pour le temps que ça durera, autant s'éclater ;)
Ooups, je n'avais pas compris que "autant que ça durera" s'adressait au nouveaux marriés" LOLOL! Merci pour l'idée. J'espère que vous ne me réclamerez pas de droits d'auteurs???
re-oups "mariés"
Oups et re-oups pour mes fautes également, on me pressait de quitter le clavier....
Non pas de droit d'auteur la-dessus ;)
Honnêtement je ne crois pas que vous fassiez fortune avec ce genre de citation. Ou alors ce serait pour les mariages de prêts et bourses. (Je ne sais pas si cette pratique existe toujours?)
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